International Appalachian Trail − NL

Samedi 24 juin

Je pars tôt le matin en autobus, direction la côte ouest. J'ai une dizaine d'heures de trajet jusqu'à Corner Brook (et il a déjà 2h de retard), donc j'ai pas mal de temps. Je rattrape mes notes et regarde simplement le paysage ; je suis excité à l'idée de découvrir à quoi ressemble l'intérieur de Terre-Neuve. Ce sera surtout de la forêt et des lacs, mais avec parfois des vraies montagnes, des fjords et de la toundra. Avec ça et les pauses fréquentes pour se dégourdir les jambes, les 9h30 d'autobus se passent plus facilement que ce que je craignais.

Je suis à Corner Brook à 19h. Il bruine/pleut par moment. Tiens, ça me rappelle le début de la rando de la semaine passée, mais il ne fait pas froid. J'ai toute la ville à traverser plus pas mal de route pour atteindre le début du sentier. La ville n'a pas l'air très jolie, rien à voir avec St. John's en tout cas, je vois des usines, des centres d'achat et des maisons américaines modernes. Peut-être qu'il y a un centre ville sympa.

Je suis la route depuis un bout, mais elle traverse des zones résidentielles, donc compliqué de me poser pour la nuit ou d'y faire du pouce. Je vois un panneau pour un terrain de camping à quelques kilomètres. Au moment où je me dis que j'irai bien là, un vieux en camion arrête et me prend. Bon ben autant en profiter alors, je lui dis que je vais jusqu'à Frenchmen's Cove. Après m'avoir débarqué, je m'aperçois qu'il fait demi-tour, il m'a avancé alors qu'il n'allait pas jusque là à la base !

Je termine à pied les quelques kilomètres restant de Frenchmen's Cove au départ du sentier. J'y arrive enfin vers 22h30. J'essaye de regarder un peu, ça semble pas mal marécageux tout autour. Tant pis, je m'installe sur le stationnement et me couche direct. J'essayerai de lever le camp tôt le lendemain.

Dimanche 25 juin

Au moment précis où je m'apprête à partir, une auto arrive sur le stationnement. Bon timing !

Je commence à marcher dans un sentier bien marqué mais complètement inondé. Tout autour, c'est de la tourbière, le sol est tout aussi inondée et les mouches noires sont là en masse. Mais j'ai de belles vues sur le plateau sur lequel je vais monter aujourd'hui.

Le sentier disparait et l'ascension se fait dans un éboulis d'un mélange de pierres et de terre. Quel bonheur de grimper à pic la dedans et de se repérer en fonction du relief environnant ! Je me rend compte que c'est 2 choses qui m'avaient vraiment manqué depuis que je suis au Québec, à randonner dans des forêts plates (dans le sens français et québécois du mot). Je me dégourdis enfin les cuisses !

J'atteins le plateau après cette courte mais magnifique montée qui m'a mis de bonne humeur et laisse présager une belle rando pour les jours qui viennent. La plateau est balayé par un vent violent, probablement proche des 100 km/h. Il n'y a aucun arbre. La végétation est composée de bruyères, genévriers, épinettes races, voir quelques feuillus rabougris qui forment une sorte de broussaille ultra-dense appelé tuckamore, terme spécifique à Terre-Neuve, allant de 20 cm à 1 m de profondeur en masquant les irrégularités du terrain. C'est donc assez piégeux de s'y aventurer car on ne sait jamais si on y marchera dessus ou dedans. Heureusement il y a pas mal de rochers et de pierriers sur lesquels il est plus facile d'avancer.

En montant sur Blow-Me-Down, le sommet du coin, je surprend un caribou, pas vraiment craintif.

C'est la première fois que j'en vois un et il ne ressemble pas du tout à l'image que je m'en faisais. En fait, il se trouve qu'il existe plusieurs espèces de caribou bien différentes les unes des autres, et ceux de Terre-Neuve sont des caribou des bois, mais avec quelques différences génétiques (de part leur isolation sur l'île) avec ces ceux du reste du Canada, ce qui fait qu'on ne peut plus réintroduire d'autres spécimens sur l'île, et inversement, on ne peut plus en prendre pour en réintroduire ailleurs.

De Blow-Me-Down (n'importe quel sommet pourrait s'appelait comme ça par ici), je profite de la vue magnifique sur Bay of Islands et le fjord de Corner Brook.

L'itinéraire passe ensuite dans des endroits un peu plus peuplé en arbres, même si ils restent bas et tout tordus par le vent et le gel, puis dans des grandes prairies inondées.

(ne pas croire que là où il y a de l'herbe, il n'y a pas d'eau !)

Je réussi quand même à me trouver un coin de sol au sec pour poser mon abri et profite d'une rivière pas loin pour m'y baigner. Bien qu'il reste des névés pas loin, L'eau est vraiment chaude à cause des tourbières.

Lundi 26 juin

Je suis pendant un moment un ravin au paysage complètement minéral, composé essentiellement de péridotite une roche magmatique toxique pour les végétaux, qu'on retrouve en grande quantité sur toute la chaine des Long Range Mountains, sur la côte ouest. Ça explique pourquoi je passerai tout au long de ma rando dans des paysages complètement dégarnis, aux apparences lunaires par moment (excepté l'eau qui coule un peu partout).

Puis le paysage change et je marche maintenant dans de la toundra qui s'étend à perte de vue de tous les côtés, c'est grisant de faire sa route la dedans, je me sens vraiment tout petit, perdu au milieu de nul part.

Après plusieurs kilomètres j'arrive sur le bord de Simms Gulch. Au moment d'entreprendre la descente, je vois arriver en sens inverse un groupe de 20 personnes (!) qui sont là dans le cadre d'un treck organisé. Moi qui croyais être le seul humain à des dizaines de kilomètres à la ronde :-(.

Le ravin est très impressionnant, immense, j'ai du mal à me rendre compte des dimensions dedans. Il doit bien faire 1 km de largeur. Le sol au fond du ravin est d'un plat parfait entre chaque bord, c'est intrigant.

Je descends le lit du torrent, mais rapidement le ravin se rétréci et les bords deviennent encombrés de végétation. La suite se fait sur un sentier assez bien visible jusqu'à Serpentine Lake. Ça se voit que je suis redescendu, l'endroit est infesté de moustiques, mais ça me permet de tester avec succès la moustiquaire de tête que je me suis faite. C'est moi désagréable pour la vue que ce que je pensais.

Rendu au lac, je me rend compte rapidement qu'il faut le traverser, contrairement à la trace GPS sur ma carte qui suis la rive. J'avais lu le récit d'un précédent randonneur qui l'avait traversé, il y avait des bancs de sable et des bâtons plantés dans l'eau qui indiquaient le meilleur passage à suivre. Moi, je n'en vois aucun. Ça ne m'étonne pas trop, je comprends pas comment ils pouvaient tenir avec les cycles de gel/dégel du lac, le courant et les bancs de sables qui peuvent se déplacer.

Bref, j'y vais à tâtons dans ce labyrinthe invisible de bancs de sable, en essayant de ne pas avoir d'eau au delà des hanches (à cause de mon sac). C'est pas évident et vraiment long, ça a dû me prendre 1h pour le traverser. L'eau n'est pas froide mais une heure les jambes dans l'eau c'est long, et il pleuvait depuis un petit moment déjà.

Rendu de l'autre coté, j'emprunte pendant un petit bout une route de terre où je peux marcher plus vite pour me réchauffer.

J'arrête le soir dans un magnifique endroit à la sortie d'un canyon, plus tôt que prévu mais la traversé du lac m'a vraiment épuisée. À la base, je voulais remonter sur le prochain plateau et ne pas rester dans la vallée pour être tranquille vis-à-vis des moustiques.

Mardi 27 juin

Aujourd'hui je remonte sur un plateau donc, celui des Lewis Hills, par un ravin bien abrupte sur la fin puis grimpe un col, un vrai, comme en haute montagne ! Ça fait plaisir !

Le paysage ici est encore une fois très minéral, avec des torrents et lac un peu partout et des zones de toundra, plus vertes, recouvertes de prairies humides et boueuses. J'y vois aussi 2 randonneurs, décidément… Ils sont du coin et c'est leur terrain de jeu habituel qu'ils connaissent par cœur. Ils m'ont vu arriver de loin aux jumelles, alors qu'ils cherchaient des orignaux et caribous. Ils m'ont dit qu'ils ne s'attendaient certainement pas à voir un humain dans leurs jumelles, j'imagine leur surprise !

J'ai pas mal de temps sur mon programme. Oui, comme d'habitude, mais là j'avais compté exprès moins de kilomètres par jour ne sachant pas trop l'allure à laquelle j'évoluerai dans ce type de terrain, plus le temps passé à m'orienter. J'explore donc le coin en suivant les bord du plateau, allant voir les ravins qui en descendent, passe de sommet en sommet et cherche à voir d'autres caribous. Le terrain se marche très bien, rien à voir avec le tuckamore de Blow Me Down, c'est très plaisant. Je n'aperçois pas de caribous malheureusement, mais je surprend un jeune orignal dans un creux de terrain.

Il y a de magnifiques piscines dans les torrents mais le vent est trop froid pour que je me laisse tenter. Dommage.

À certain moment ça ressemble un peu aux Alpes, à part que le relief est assez plat sur le plateau, et que le sol est inondé de partout.

J'arrive près de Molly Ann Gulch, très impressionnant vu d'en haut, où je m'installe pour la nuit. J'ai une vue sur le golfe du Saint-Laurent et peux admirer un magnifique coucher de soleil dessus (après avoir vu les levés de l'autre bord de l'ile la semaine précédente).

Mercredi 28 juin

C'est mon dernier jour sur le plateau des Lewis Hills. Je monte sur The Cabox, plus haut sommet de l'île de Terre-Neuve avec ces… 812 m. Pas très impressionnant, d'autant plus que le sommet et tout plat.

Puis je redescend tranquillement via un autre canyon, moins spectaculaire que les précédents mais joli quand même. Il y a des magnifiques marmites de géant sur la fin.

Je traverse Fox Island River, le lit de galets est tellement large qu'il y a très peu de profondeur. Comme c'est probablement le dernier jour que j'en verrais, je fais mes provisions de thé du labrador, il y en a de partout.

Soudain j'entends une sorte d'aboiement aigu, à mi-chemin entre un aboiement et un jappement ; il y a une famille de coyotes juste 100 mètres devant moi ! Une mère et ses 2 petits qui doivent avoir 1 an. La mère ne semble pas plus craintive que ça, elle se repose par terre et se contente d'aboyer de temps en temps. Les petits eux sont comme d'habitude très curieux et m'observent attentivement devant l'entrée de leur trou. Je m'approche un peu et passe un moment à les observer.

Après cette superbe découverte (j'aurais jamais cru pouvoir voir une famille de coyote et surtout les observer aussi longtemps), je termine ma rando dans une belle forêt d'épinettes, très boueuse mais agréable…

et j'arrive à la route.

J'avais initialement prévu de dormir là et faire les 30 km de route demain, mais il est 14h et l'endroit est infesté par les moustiques, je ne me vois pas rester ici. Je commence donc la route.

Plus je marche plus je me dis que je peux peut-être même arriver à attraper le bus pour Port-aux-Basques ce soir au lieu de demain soir et gagner un jour. Mais ça n'arrivera pas et j'atteins Stephenville dans la soirée. Il n'y a aucun terrain de camping dans les environs et je veux pouvoir laver mes habits (et moi). Je me rabat sur un hôtel, vraiment cher, trop de confort superflu, j'aurai préféré après coup dormir dehors finalement, je m'en souviendrais…

La ville est bien moche aussi d'ailleurs, je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de ma journée de demain avant de prendre l'autobus.

Jeudi 29 juin

Comme je m'y attendais, rien de particulièrement intéressant à voir à Stephenville, à part une longue plage et des sentiers de marche aménagés dans et autour de la ville, je les suis.

Un de ces sentiers par contre remonte Blanche Brook et mène à des arbres géants fossilisés datant du carbonifère, à priori très rares d'après les panneaux explicatifs. Ça vaut le coup d'œil !

Je quitte enfin Stephenville dans la soirée, le trajet est assez agréable car il y a une belle diversité de paysages, allant de marais et plages de sable sur les estuaires des rivières qui rappellent un peu la Camargue aux canyons et montagnes, pas très hautes mais abruptes.

De Port-aux-Basques, je prends le traversier pour quitter définitivement Terre-Neuve.

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