Trans'Alpes

Après une première expérience de longue randonnée sur la HRP il y a 3 ans, j'avais envie de remettre ça cet été. N'ayant fait que des petites escapades à pieds ou vélo ces deux dernières années, je voulais retrouver cette sensation de liberté et de nouveau rythme de vie qui s'installe au fils des semaines. Initialement, j'avais prévu de suivre la Via Dinarica, à travers les Balkans. Mais ça ne tenait pas dans les congés que je pouvais prendre (et l'idée d'en faire qu'un bout et revenir l'année suivante ne me séduisait pas du tout, soit je vais au bout du truc, soit je fais autre chose), et c'était assez long pour y aller en train (en fait surtout pour y revenir). Je me suis finalement rabattu sur les Alpes. Depuis que j'avais quitté le sud-est il y a 8 ans, je n'y étais pas retourné, et toutes les Alpes du nord m'étais toujours inconnues. Je tombe sur la Trans'Alpes, présentée comme la HRP des Alpes, c'est parfait ! Je trouve assez peu de retour sur Internet concernant cet itinéraire (comparé à la HRP), je suivrai donc en très grande majorité le topo officiel, mais à contre-sens (je préfère de loin aller vers l'inconnu, c'est bien plus motivant).

Au niveau préparation, tout ce que j'ai fait pour la HRP et décrit ici reste valable, et ma liste de matériel n'a pas beaucoup évolué non plus.

Jour 0 : Menton-Garavan − Sospel

7 juillet 2023 19,6 km / ↗ 1723 m / ↘ 1384 m (Trace)

Gare SNCF de Menton-Garavan, 16h00. Je me faufile entre la dizaine de policiers et sort de la gare. Je pars à la recherche d'une fontaine (à titre d'info, il y a des toilettes publiques vers les plages en direction de Menton) pour faire le plein. Un coup d'œil à la mer, mais je n'ai aucune envie de me baigner. Je me hâte plutôt de quitter la ville. Ici la population dans la rue semble se répartir ainsi : 50 % de touristes, 25 % de policiers & gendarmes, 25 % de locaux.

Menton-Garavan, km 0

Je me hisse au dessus de l'urbanisation, sous une forte chaleur d'après-midi, et un fort vent chaud et humide de sud-est. L'autoroute traversée, j'atteins la garrigue et poursuis la montée accompagné du chant des cigales et du bruit des camions sur l'autoroute. Les deux se tuent rapidement.

Pour le moment je ne réalise pas vraiment que je suis partis pour un mois de rando, j'ai plus l'impression de faire une balade à la journée. D'autant que j'étais tellement pressé de quitter Menton que je n'ai même pas pris le temps de sortir mes bâtons du sac.

Ports de Menton

Au col du Berceau, 1000m plus haut, la vue sur la méditerranée est magnifique, en surplomb, la côte urbanisée est masquée, seule la mer à perte de vue et les collines des pré-Alpes. Le silence règne. Là, j'ai un peu de regret à quitter la mer si vite, je l'aurai à peine vu…

Au col du Berceau

Courte pause au Mont Granmondo, 1365 m, point culminant du jour, puis je redescends vers Sospel. Les sources indiquées dans le vallon de l'Albaréa ne coulent pas, sauf la source captée de l'Albaréa, au débit époustouflant d'une à deux gouttes par seconde. De toute manière il n'y a pas vraiment d'emplacement de bivouac épargnés par la caillasse et 2 randonneurs ont établi leur camp sur la dalle de béton en amont du captage. Je décide donc de poursuivre jusqu'au camping de Sospel. Je n'ai pas spécialement envie de dormir en camping alors que je viens juste de commencer, mais ça m'avancera pour la longue étape de demain.

Il est 22h quand j'arrive au village. Alors que je cherche le camping municipal, un couple très sympathique m'indique qu'il a été remplacé par une aire pour camping-cars ! En effet, à l'entrée on peut voir un panneau interdisant explicitement les tentes. Je m'installe donc sur la pelouse du parc municipal à côté, comme font tous les randonneurs depuis la fermeture du camping, aux dires du couple. Ça me va très bien comme ça finalement, car je n'avais guère envie de payer le camping alors que je n'avais pas commencé ma rando, ni dormir sur du gravier entre des camping-cars. Eau, pelouse, table de pique-nique et tranquillité, je n'ai rien besoin de plus !

Jour 1 : Sospel − Refuge des Merveilles

8 juillet 2023 29,0 km / ↗ 2684 m / ↘ 889 m (Trace)

Aujourd'hui est une grosse étape à cause de l'absence certaine d'eau sur le parcours. Je pars tôt pour bénéficier de l'ombre, me charge de 3 L d'eau (alors que j'ai déjà 7 jours de nourriture dans le sac), et c'est parti pour près de 2700 m de D+ et une trentaine de km sous le soleil. Moi qui préfère démarrer les longues itinérances tranquillement pour me roder et accélérer le rythme ensuite, c'est raté, j'aurai fait 4300 m de D+ en un jour et demi.

Pré-Alpes de Nice

À la baisse de la Déa, j'aperçois les premiers hauts sommets du Mercantour. Ça va très vite, contrairement à la HRP, il n'y a pas d'introduction : sitôt parti, on est déjà en montagne, à 2000 m. Hier après-midi je quittais la mer, aujourd'hui je marche en côtoyant chamois et marmottes !

Baisse de la Déa

Je suis le fil de crête jusqu'au pas du Diable, par lequel je rentre dans la vallée des Merveilles. Finalement la longue étape se sera passée relativement facilement, j'en suis très étonné, le fait qu'il s'agisse de bons sentiers tout le long et de montées régulières a du bien aidé, et j'ai réussi à limiter ma consommation d'eau sans trop ressentir la soif, il m'en restera même un peu à mon arrivée.

Peu avant le pas du Diable, il y a un petit laquet pas trop marécageux et un peu de plat herbeux. J'aurai pu m'arrêter là, mais je m'en tiens à mon objectif, le Refuge des Merveilles.

Lac Fourca, vallée des Merveilles

Bivouac à côté du refuge, seul endroit autorisé, donc on se retrouve un peu entassé. Il faut jouer à celui qui trouve l'emplacement le moins mauvais et suffisamment éloigné des autres, tout en espérant que personne n'ait l'idée de venir s'installer trop près de soi dans la soirée (malheureusement je suis un peu désavantagé, mes chaussettes, exposée bien en vue sur mon tarp, n'ont pas encore atteint leur plein potentiel répulsif après seulement 1 jour et demi de marche).

Peu de douleur après cette première journée, hormis les épaules du au poids du sac. Je me réhydrate autant que je peux durant la soirée. Bien qu'à 2200m, la nuit est anormalement chaude, je dors à moitié dans mon pied d'éléphant, sans doudoune.

Jour 2 : Refuge des Merveilles − Bivacco Moncalieri

9 juillet 2023 18,5 km / ↗ 1817 m / ↘ 1272 m (Trace)

Petite journée de prévu aujourd'hui, pour rattraper l'avance prise ces 2 derniers jours et car j'ai envie de passer la nuit au bivacco Moncalieri. La motivation est au maximum, c'est le début des montagnes.

Je démarre tôt pour éviter la foule de randonneur, mais c'est un peu peine perdu. Ce n'est qu'au moment de bifurquer vers le collet de Charnassère que je serai plus tranquille.

Vallée des Merveilles

Je connaissais déjà la vallée des Merveilles, et ne la trouve par ailleurs pas spécialement « merveilleuse », donc je la passe rapidement.

Somptueux lac Vert, vallée de Valmasque

Lac de la Lusière, vallée de Valmasque

Quelques névés à traverser avant le pas de l'Agnel, qui me feront quand même sortir le piolet (tant qu'à l'avoir pris…), puis un éboulis chaotique assez pénible pour redescendre sur le lac du même nom. Baignade et pique-nique en compagnie d'une étagne. Plus loin au refuge Pagari, j'en vois même en train de brouter à quelques mètres du refuge.

Bouquetins domestiques ou chèvres sauvages ?

Au bivacco Moncalieri, les seuls occupants sont, à nouveau, des bouquetins, qui s'en vont à mon approche par le chemin le plus exposé, comme pour me narguer. Ils reviendront dans la soirée. Le bivacco est au top à l'intérieur : tout en lambris, matelas, couvertures, oreillers. Et à 2700 m dans un cirque glaciaire sous la cime du Gélas. Je passe le restant de l'après-midi à profiter de la vue.

Bivacco Moncalieri

J'ai un peu d'inquiétude sur l'enneigement du passage exposé à franchir demain matin, je trouve quelques infos laissées dans le livre d'or : « Pour le Passaggio dei Ghiacciai del Gelas : ça paaasse ». Avec ce tel niveau de précision, me voila rassuré !

Jour 3 : Bivacco Moncalieri − Lago Soprano di Fremamorta

10 juillet 2023 29,4 km / ↗ 2566 m / ↘ 2872 m (Trace)

Comme souvent le matin, j'ai hâte de partir, impatient de découvrir de nouveaux paysages, de m'en mettre plein les yeux, de ne pas savoir ce qui m'arrivera durant la journée. Et les paysages sont plus beaux sous la lumière du matin.

Je monte sur l'arrête du Glacier, super ambiance de haute montagne. C'est simple, il suffit de suivre les bouquetins… euh, les cairns.

En direction du Passaggio dei Ghiacciai del Gelas

Un vieux mâle se cache sur la photo

En effet, au 10/07/2023, le Passaggio dei Ghiacciai del Gelas : ça paaasse. Je pourrai transmettre cette information dans la prochaine cabane que je croiserai. La nuit n'a pas été froide, la neige n'est pas gelée, mais les 2 premiers névés, rapidement traversés, sont bien raides et courent sur une longue distance, j'étais content d'avoir le piolet. Les suivants sont bien moins pentus.

Ancien glacier du Gélas

Au col de la Fenestrelle, pour ceux arrivant du nord, on a une belle vue sur l'état d'enneigement du passage.

Vue arrière sur le Gélas le col de la Fenestrelle

Il fait très chaud depuis mon départ, avec un fort vent chaud de sud-ouest. Je me couvre autant que je peux pour me protéger du soleil et guette chaque coin d'ombre, relativement rare, pour faire une pause.

Eux ne semblent pas s'en plaindre…

La montée au pas de Brocan se fait sous la chaleur du début d'après-midi (j'aurais bien fait une sieste, mais trouver de l'herbe et de l'ombre et un sol plat était bien trop exigeant). Heureusement il fait un légèrement plus frais là-haut et je trouve même ce que rêvais dans la montée :

Encore un peu de glaçons dans mon bain ?

Mais je ne m'y baigne pas, trop froid (comment ça je suis difficile ?!).

Le secteur après le Pas de Brocan se fait en restant sur les courbes de niveau, mais le chaos de blocs ne facilite pas pour autant la progression. Ça devient plus facile au fur et à mesure que je me rapproche du refuge Remondino (bâtiment assez moderne avec baies vitrées où il y a foule, et pas seulement de randonneurs : les bouquetins, toujours eux, semblent apprécier les abords des refuges pour une raison que je ne comprends pas trop…).

Je finis de descendre complètement dans le val Valleta sur un bon sentier de montagne, mais les 1200 m de dénivelé me fatiguent bien les genoux. Le haut de cette vallée est très bucolique et correspond totalement aux souvenirs que j'ai gardé des Alpes : des mélèzes éparts (mes arbres préférés, qui me manquent tellement en Ariège), des blocs de granite erratiques, eau et fleurs omniprésentes…

Val Valletta

J'hésite à m'arrêter en fond de vallée, j'ai pas mal marché et c'est très joli mais j'aperçois une route et un parking pas si loin et les taons m'ont repéré. Il n'y a plus que 600 m à remonter sur du sentier pour finir mon étape prévue, ça sera vite avalé. Erreur, le sentier monte lentement, fait des lacets, redescend… Bref, je mets deux fois plus de temps que ce que j'avais estimé.

J'atteins enfin les lacs de Fremamorta, ça souffle bien ici, mais ce sera un de mes meilleurs bivouacs de la traversée.

Bivouac au lac supérieur de Fremamorta et derniers rayons sur l'Argentera

Jour 4 : Lago Soprano di Fremamorta − au dessus de Sant'Anna

11 juillet 2023 27,0 km / ↗ 1792 m / ↘ 1899 m (Trace)

Étape qui s'annonce un peu plus tranquille en terme de dénivelé et de difficulté, je vais suivre beaucoup de vieux chemins militaires italiens qui longent la frontière franco-italienne et permettent de relier les différentes casernes, elles aussi à l'abandon. Pas de doute en tout cas, les italiens ont gardé le savoir faire de leurs ancêtres en terme de voirie, certaines voies ont encore un pavage impeccable au milieu des éboulis, à plus de 2000 m !

Mais qui dit grands chemins dit souvent mauvaises rencontres, et ça ne loupe pas : peu après mon départ, je suis pris en embuscade au détour du chemin par deux bouquetins-légionnaires romains ! Une ration de potion magique et les voila en fuite.

Bouquetins en fuite sur la voie romaine

La suite se passe sans encombre et à un bon rythme, je passe plein de magnifiques lacs de montagne.

Lac Fremamorta du milieu et voie romaine

J'arrive à ce que je crois être la caserne de Capitano Massimo Longà (d'après ma carte), sous la baisse de Druos.

Ma carte doit dater un peu, car il s'agit maintenant d'un HLM. Ou c'est moi qui ait des hallucinations ? C'est vrai qu'il fait toujours très chaud, il faut que je fasse attention à bien m'hydrater) Toujours est-il qu'une tête de bouquetin apparaît à la fenêtre.

− Oh tiens, euh… Bonjour Monsieur Bouquetin (!!)
− …
− Vous n'êtes pas un peu ridicule, comme ça à la fenêtre ?
− Dites donc, je ne vous permet pas ! Je me cache pour observer la faune sauvage.
− Ah oui ?
− Oui, les homo sapiens en particulier, c'est la meilleur saison en ce moment vous savez, il y en a partout. Et je ne m'en lasse pas, voyez-vous, il y en a de toute les couleurs : vert clair, orange fluo, rose bonbon, jaune flashy, souvent un mélange de tout ça même.
Et puis ils ont des comportements toujours étonnant. Tenez, par exemple il y en a un qui se croit capable de taper la discute à un bouquetin !

Bon, je crois qu'il se paye un peu ma tête, je le laisse et vais me reposer à l'ombre avant de continuer.

La suite me fait passer un court instant en France, puis je monte à la Cime de la Lombarde, qui domine le col routier éponyme.

Joli sentier bucolique

Cime de la Lombarde, vue nord sur ce qui m'attend

La descente raide dans les blocs requière beaucoup de prudence et de patience, sans hésitation le passage le plus difficile depuis le début du périple. Une fois en bas, côté ouest, le sommet à l'air d'un immense tas de pierres empilées les unes sur les autres. La fin de la journée se fait sans aucune difficulté sur la crête frontalière, assez proche d'une montagne à vache, si ce n'est le manque d'eau que je n'avais pas anticipé. Il n'y a pas de point d'eau entre le lac du pas du Loup et le lac de Sant'Anna.

Bivouac au dessus du santuario di Sant'Anna, belle vue mais beaucoup de moustiques !

Jour 5 : au dessus de Sant'Anna − Lacs de Ténibre

12 juillet 2023 28.8 km / ↗ 2735 m / ↘ 2436 m (Trace)

Mer de nuage dans les vallées du Piemonte

Le matin, j'évolue essentiellement sur de petits sentiers militaires abandonnés, ce ne sont plus des voies mais ils restent tout de même bien aménagés et se devinent encore dans le paysage. Ils me permettent de suivre la frontière côté italien tout en restant plus ou moins à la même altitude ; je passe plusieurs cols sans faire beaucoup de dénivelé. Le paysage est très austère, la caillasse domine et l'herbe doit se faire sa place, bien qu'on ne soit pas si haut que ça. Très peu de fleurs viennent embellir le sol et je ne croise aucun ruisseau ou suintement sur la roche, tout est sec. Personne en vue non plus, aucun signe de vie (humain du moins, car les bouquetins, c'est la foule) et les bâtiments militaires et les restes de barbelés et autres ferrailles sur la crête frontalière contribuent à cette ambiance d'abandon et de désolation. En bref, les paysages ne sont pas spécialement jolis, et pourtant j'apprécie grandement d'être là. Ce restera même un des meilleurs passage de la traversée.

Le summum est le lac de Colle Longue, coincé dans un replis de terrain entre France et Italie. Aucun ruisseau ne l'alimente, rien n'en sort. Il est là, telle une curiosité. Il n'a rien d'exceptionnel et pourtant, au milieu de ce décor, je le trouve très beau.

Caserne du col du Saboulé

Borne frontière

Ancien sentier militaire au passo del Bue

Caserne de Collalungua

Une mini-variante, entre le Col du Saboulé et le passo del Bue, je reste sur la crête frontalière pour éviter du dénivelé. Il y a quelques cairns visibles (au début). Le plus compliqué techniquement est la portion entre la tête Rougnouse et son antécime orientale, la crête est un peu étroite.

Au lac de Colle Longue, on peut aussi monter plus directement par la Cime Tommy, au lieu de contourner le lac par le sud-ouest comme je l'ai fait.

Plus la journée avance, plus il fait chaud, mais ici heureusement il y a les nombreuses casernes pour retrouver un peu de fraicheur. Dans l'une d'elles, j'entends du bruit à l'intérieur, elle doit être habitée. Je frappe et entre.

− Bonjour Madame et Monsieur Bouquetin. Je suis un randonneur de passage, m'offririez vous l'hospitalité le temps d'une petite pause au frais ?

Ils semblent très surpris de ma présence, mais je ne comprends pas ce qu'ils se disent.

− Aaah, encore un homo sapiens qui est entré chez nous !
− Vite, suis moi, par la fenêtre.
Dire qu'on a loué cette maison de vacances en altitude pour être tranquille ! Ces humains, ils n'ont vraiment aucun notion de la propriété privé, ils ne peuvent pas rester dans la nature au lieu d'envahir nos maisons ?
− Ouais, vivement qu'on les classe en espèce nuisible, qu'on puisse organiser une bonne battue.

Ils se sont rapidement enfuis en sautant par la fenêtre à ma vue ! Drôle de manières d'accueillir les gens. En tout cas, c'est encore un échec pour entrer en contact avec les locaux.

J'atteins les Lacs Lausfer pour midi. Les paysages ont changé, moins arides, et donc plus verts et fleuris. Et j'y croise mes premiers randonneurs de la journée. Je trouve une petite crique hors de la vue et m'accorde une bonne pause baignade-lessive-casse-croute-sieste sur les berges de ce magnifique lac, car j'ai déjà bien avancé pour cette journée.

Lac Lausfer inférieur

Il ne me reste plus que le pas du Corborant à franchir avant de quitter l'Italie pour un petit moment. Je suis les marques de peinture qui me font monter dans un couloir raide, qui se transforme en cheminée. Je passe dans un passage aménagé sous des blocs qui bloquent la cheminée par le haut puis atteins le col (enfin ça ressemble bien plus à une brèche), puis redescend de l'autre côté dans une cheminée quasi verticale.

Le passage est la aussi aménagé avec des chaines, mais la roche se délite très facilement, je prie pour qu'aucun autre randonneur ne soit au dessus… ou au dessous ! C'est quand même sacrement exposé ce col, mais je finis enfin cette laborieuse descente en désescalade, presque 100m plus bas, en prenant pied sur le pierrier. La vue s'ouvre, je distingue le beau laquet de… euh… bon il n'est pas sur ma carte. Et cette vallée dans laquelle je viens d'entrer, elle ne ressemble pas du tout à ce qu'il y a sur ma carte non plus… Je me rends vite compte que je ne suis pas monté au bon col, au lieu de passer le pas du Corborant, c'est la Forcella Est del Corborant que j'ai franchi ! Je suis bon pour revenir sur mes pas. Heureusement, remonter la cheminée se fait bien plus rapidement que de la descendre. À la brèche, quitte à être monté là, je monte à la cime du Corborant : très belle vue à 360°, au moins ça valait le coup.

Cima di Corborant Val dell'Ischiator depuis le Corborant et les lac de Rabuons côté France

Je ne trouve rien d'évident pour rejoindre le pas du Corborant d'ici, je préfère ne pas me risquer et redescend à l'intersection où j'aurais du poursuivre tout droit, en repassant dans le passage sous les blocs, qui s'avère être la Bouche de la Marmotte !

Dans la Buco della Marmotta

À l'intersection, effectivement, il n'y avait pas d'intersection. J'avais naïvement suivi les marques et la sente, habitué au bon balisage des sentiers italiens, alors qu'il fallait poursuivre tout droit. La montée au « vrai » pas du Corborant se fait sur un tapis roulant dans les éboulis, et la descente dans des éboulis de gros blocs, donc la progression est très lente, même si quelques névé peu pentus permettent d'aller plus vite.

Il est 18h lorsque j'arrive au refuge de Rabuons, mais je préfère poursuivre encore en prévision de la journée de demain : j'espère arriver demain soir au gîte de Larche, où je dois récupérer mon colis de ravitaillement et, tant qu'à faire, y manger et dormir, et donc si possible ne pas y arriver trop tard pour profiter un peu du confort du gîte. En fait avant de partir, je m'étais aperçu que j'avais peut-être vu un peu gros, 7 jours pour atteindre Larche depuis Menton ça faisait de belles étapes, donc je me suis alourdi d'un jour de nourriture de plus avant le départ. Finalement, je devrai y arriver en 7 jours, par contre j'avais un gros appétit et ai quasiment consommé mes 8 jours de bouffe en 7 !

Je termine ma journée en suivant le chemin de l'Énergie, hors Trans'Alpes mais j'adore tout ces sentiers taillés à flanc dans la falaise pour faire passer des convois muletier ou autre. Bon, celui-ci n'est pas très impressionnant, juste le début avec quelques courts tunnel. Mais au moins, ça me permet d'accélérer l'allure, d'autant plus que le temps est un peu menaçant. Je monte aux lacs de Ténibre et m'y installe pour la nuit.

Lac de Ténibre

Jour 6 : Lacs de Ténibre − Gîte de Larche

13 juillet 2023 27,9 km / ↗ 1339 m / ↘ 2241 m (Trace)

Départ un peu avant 7h, toujours dans le but d'arriver tôt au gîte. Je monte à la brèche Borgonio, à vue en suivant le fond du vallon, mais arrivé sous la brèche, la pente et raide et le sol ne se tient pas. Mieux vaut d'abord monter sur la crête Marie au nord, puis la suivre jusqu'à la brèche je pense. De l'autre côté, il reste beaucoup de névé mais aucun n'est problématique.

Sous la brèche Borgolio, vue sur la Haute Ubaye et le Viso

Je passe le refuge du lac de Vens, au moment du départ des derniers pensionnaires. Le refuge est très mignon, pas bien grand et posé sur un balcon qui domine le lac de Vens. En tout cas, ça change des gros refuges plus modernes.

Lac de Vens

Après un joli petit passage en crête très facile entre le col du Fer et le col de Morgon, le paysage change radicalement : je quitte le Mercantour pour entrer en Haute-Ubaye, et je retrouve les caractéristiques plus typiques des Hautes Alpes du sud qui me rappellent pas mal de souvenirs : grandes roubines de schiste, vaste casses au pied des hautes falaises…

Les Roubines Nègres, depuis le col de Morgon

Après le pas de la Cavale, où j'ai retrouvé le GR 5, ce n'est plus qu'une longue descente sur Larche dans le vallon du Lauzanier. L'endroit doit être très touristique car plus je descends, plus je croise du monde, ça en devient vite pénible. Ça semble être LA destination touristique du coin, même si je ne lui trouve rien d'exceptionnel. Il fait très chaud, mes genoux fatiguent sur les longues descentes et j'ai hâte de trouver un coin à l'ombre pour me poser (et avec du réseau pour pouvoir réserver le gîte pour ce soir).

Vallon du Lauzanier

Finalement, j'y arrive assez tôt et ils ont de place. Je profite du restant de l'après-midi pour me reposer.

Jour 7 : Gîte de Larche − Lac des Neuf Couleurs

14 juillet 2023 17,6 km / ↗ 1844 m / ↘ 667 m (Trace)

Le plein est fait, mon sac s'est bien alourdi, ma panse aussi (il faut optimiser l'espace !) et je prévois une courte journée, essentiellement en montée pour reprendre de l'altitude. On est le 14 juillet, et les sentiers sont très fréquentés, difficile d'être seul.

Au col de Mallemort, je fais un petit aller-retour à la tête de la Viraysse pour voir l'ancienne batterie. Il s'avère qu'elle est barricadée et on ne peut rien voir, ça ne vaut pas le coût si ce n'est pour la vue. Les baraquements de la Viraysse, en contrebas du col eux sont accessibles. J'aime bien les vestiges miniers ou militaire en montagne, ça a un aspect bien plus impressionnant du au milieu dans lequel ils ont été construits.

Depuis la tête de la Viraysse

Ce n'est pas vraiment une bonne journée, la moindre montée me fatigue et je n'ai plus tellement envie de marcher, ça contraste beaucoup avec les jours précédents. Pourtant la nuit au gîte a été bonne et je l'ai appréciée, mais je pense que ça m'a aussi coupé dans ma routine et mon élan. Et puis le sac de nouveau lourd, le monde sans arrêt sur les sentiers, le fait que je ne verrai pas autant de paysages aujourd'hui, une douleur à la cheville gauche qui apparait, la chaleur étouffante toujours… y sont probablement pour quelque chose aussi.

Col de Stroppia

Vallon de Plate Lombarde

J'arrive au lac des Neufs Couleurs après avoir cheminé dans un décors minéral très joli au nombreux tons d'ocre. J'y arrive à 15h et j'ai prévu de m'arrêter là pour la nuit. Il y a plein de monde, mais je me dis que tout ces gens là repartiront avant le soir (il y a le refuge du Chambeyron pas très loin). En attendant, je me repose à l'ombre de rochers en admirant le paysage.

Effectivement, j'assiste au départ progressif des randonneurs… et à d'autres qui arrivent, visiblement pour bivouaquer ici. Je me demande si je ne ferais pas mieux d'aller ailleurs : dormir à la tête de la Fréma, un 3000, vu que la météo et bonne ? Ça me tente bien mais je n'ai aucune idée de s'il y a de la place là-haut (réponse : non ce n'est que de la roche). Passer le col et voir si c'est mieux côté Italie ? Après pas mal de tergiversations, ma flemme de la journée me fait rester là et je pars seulement en quête d'un endroit un peu à l'écart et sans trop de rochers. J'ai bien fait d'arriver tôt finalement, au moins j'ai le choix de mon spot pour la nuit, il n'y a guère d'endroits plat et dégagé de toute caillasse. Au fur et à mesure, le lieu devient progressivement un véritable camping. Heureusement que c'est vaste et que la configuration chaotique du relief fait qu'on ne se voit pas ni ne s'entend. Ce sera le lendemain matin, en prenant de l'altitude, que je compterai une grosse dizaine de tentes posées autour du lac. Quand même, vivement que je retrouve des vallons plus sauvages !

Lac des Neuf Couleurs et Brec de Chambeyron

Jour 8 : Lac des Neuf Couleurs − Lacs Blanchet

15 juillet 2023 30,3 km / ↗ 2158 m / ↘ 2260 m (Trace)

Je commence la journée par aller admirer la vue à la tête de la Frema. Le temps est clair, et sous la lumière rasante du matin, les paysages sont majestueux.

Vue nord depuis la tête de la Fréma. Le Viso n'est plus loin !

Vue sud-est depuis la tête de la Fréma

La suite, tout le secteur de la Montagna di Stroppia en Italie ne manque pas de beauté non plus, mais difficile à rendre en photo, c'est l'ambiance que procure tout cet environnement dans la lumière et la tranquillité du matin.

Lago del Vallonasso di Stroppia

Vallon de l'Infernetto et col et mont de Ciaslaras

La montée, et surtout la descente, du col de Ciaslaras est très raide dans des éboulis fins. Puis je requitte déjà l'Italie pour rejoindre la haute vallée de l'Ubaye. La roche dans le vallon de Marinet prend des teinte franchement verte voir violacé (à l'endroit nommé La Roche Noire…)

Vallon de Marinet

La journée se passe sans difficulté, les paysages de ce matin m'ont redonné de l'entrain et la remontée de l'Ubaye se fait en douceur sur de bons sentiers, je peux lever les yeux et regarder le paysage défiler au rythme de mes pas. J'avais dans mes notes, pour éviter le ravin de la Salcette assez scabreux, de monter depuis le plan de Parouart tout droit par la cabane du Ga pour ensuite suivre un ancien canal d'irrigation à flanc. Il n'y a finalement pas besoin car le sentier a été dévié depuis pour passer plus en hauteur, il suffit de suivre le nouveau balisage.

Vallée de l'Ubaye

J'atteins le lac de la Noire, où j'avais imaginé bivouaquer, mais il est en plein vent et le seul endroit plat pour poser mon abri est sur le sentier… Et trop près de l'eau aussi. Dommage, c'était un bel endroit, et plus intimiste que la veille.

Lac de la Noire

Je continue alors après avoir refait un plein d'eau, mais ne sachant pas trop jusqu'où. Il y a le Refuge de la Blanche plus bas, je pourrais y dormir ? Ou seulement y manger, mais il faut que je poursuive plus loin pour bivouaquer (je n'ai pas envie de bivouaquer au pied du refuge) ? Mais il est tard, est-ce qu'ils auront encore de la place ? Oula, ça ressemble quand même à un gros refuge, et il y à l'air d'avoir du monde, mais on y mange bien il parait. Bref, pendant toute la descente, je n'arriverai pas à me décider. Au refuge, j'apprends qu'ils sont effectivement complet. Tant mieux car il y a bien trop de monde à mon goût !

Je monte aux lacs Blanchet, en espérant pouvoir trouver un peu de place, car ça semble bien escarpé d'après mes cartes. Mais une fois arrivé, bonne nouvelle, je trouve de beaux endroits plats et herbeux. Mauvaise nouvelle, il y a déjà du monde, mais tant pis.

J'assiste à un beau couché de soleil sur la vallée de Saint-Véran.

Tête des Toillies

Vallée de Saint-Véran

Jour 9 : Lacs Blanchet − Lago Superiore (Vallée de Po)

16 juillet 2023 24,3 km / ↗ 1962 m / ↘ 2394 m (Trace)

L'itinéraire des prochains jours ne m'enchante guère, la Trans'Alpes suit majoritairement le GR du tour du Queyras dans la haute vallée du Guil. Je suis déjà passé par là il y a longtemps et ça me fait redescendre plusieurs fois dans les vallées. À côté, le Viso tout proche m'attire bien plus, et j'ai plusieurs jours en extra pour ce genre de détours, c'est le moment de les utiliser. Je pourrai ainsi passer au plus près de la frontière ensuite. Ça devrait me rajouter un jour de marche, et il y a pas mal de refuges sur lesquels je pourrai compter pour la nourriture.

Après être monté au Caramantran, je rebascule en Italie par le col Agnel. Je prévois de remonter le val de Soustra pour m'approcher du Viso. La descente du col Agnel est bruyante avec les motos, bagnoles, camions qui se suivent. Je perds le sentier après avoir coupé la route, il doit falloir longer un peu la route, mais je ne perds pas de temps à chercher à le retrouver, je descends le plus vite possible dans ces alpages à vaches.

Le val de Soustra n'est pas très beau non plus, et comme je suis redescendu bien bas, il fait encore plus chaud. J'y surprend 2 renards à quelques minutes d'écart, dans les hautes herbes.

Je me pose sous l'ombre d'un des seuls mélèzes de la vallée pour manger. Je ne sais pas comment il est arrivé là, mais j'apprécie grandement sa présence. Ce n'est pas le cas d'un autre animal, qui est arrivé dans mon dos sans que je m'en aperçoive, et se met à siffler bruyamment à quelques mètres. Je sursaute. Peut-être que je lui ai pris sa place à l'ombre ? La marmotte semble déterminée et reste là à siffler pendant 5 minutes tout en me regardant, jusqu'à ce que je décide de me lever pour la faire partir. Non mais !

Au col Losetta, quelle surprise, le Viso apparait, juste en fasse de moi, majestueux ! Je monte au mont éponyme pour mieux l'admirer. Le passage continu de nuages qui le masque en tout ou partie ne fait que rendre le spectacle plus beau. Je reste là un long moment à voir ce paysage évoluer sous mes yeux.

En face du mont Viso

J'essaye aussi de repérer entre deux passages de nuages le passo Vitale Giacoletti dans la roche en fasse depuis le col Vallante pour la suite. Je ne vois que des parois assez abruptes et pas vraiment de passage… Je n'ai aucune info de à quel point ce passage est engagé, mais ce qui est sûr c'est que c'est bien envahi par les nuages, donc ça ne m'inspire guère de m'engager là dedans. L'inconvénient de changer de plan en cours de route… Je décide de ne pas y aller et plutôt franchir par le col du Couloir du Porc (qui lui est déjà bien compliqué, la descente se fait en majorité en désescalade, mais c'est très bien équipé.

Note : en fait en cherchant une fois rentré, le passage Vitale Giacoletti ne semble pas trop difficile, il y a bien un passage avec un balisage et des chaines.

Col du couloir du Porc

Une fois de l'autre côté par contre, c'est le choc : il fait 15 °C de moins, il n'y a plus de soleil, et je suis dans une épaisse purée de pois bien humide ; tous les nuages semblent s'entasser ici. Je n'y ai pas pensé, j'aurai du bivouaquer avant, côté France.

Au refuge Giacoletti, j'en profite pour prendre mon goûter en fasse de l'impressionnante falaise : une bonne assiette de polenta au fromage, ça cale bien !

Rifugio Giacoletti

Je descend jusqu'au Lac Supérieur pour passer la nuit, cette fois je suis bien seul. Sitôt mon tarp monté et ma toilette faite, je m'allonge direct et ne bouge plus; la dernière montée m'a épuisée. Je crois que je vais faire des journées un peu plus cool les prochains jours. Et puis dans un peu moins de trois jours de marche, je serai à Pragelato.

Les nuages finiront par se lever dans la soirée, pour finalement dévoiler la face nord du Viso.

Jour 10 : Lago Superiore (Vallée de Po) − Combe d'Urine (Val Pelice)

17 juillet 2023 18.8 km / ↗ 1531 m / ↘ 1800 m (Trace)

Surprise de la matinée : alors que je sors, encore à moitié réveillé, pour aller prendre mon petit déj un peu plus loin je tombe sur… un de mes bâtons ! Qu'est-ce qu'il fait là ?! Je le ramasse et constate que la pomme a des marques de crocs, visiblement un renard qui a du jouer avec ? Je n'ai rien entendu, alors même que le bâton était sous mon abri, à côté de ma tête la veille. Bizarrement, il a trouvé mon bâton plus intéressant que mes sacs de nourritures, pourtant posés juste à côté.

Après la source du Guil hier après-midi, c'est la source du Po que je traverse ce matin, puis monte au mont Granero en faisant une courte incursion en France, juste pour pouvoir emprunter le tunnel de la Traversette. Nommé aussi tunnel Pertuis du Viso ou Buco di Viso (je préfère ce dernier, ça fait plus effrayant !), c'est un tunnel qui date du XVème siècle, creusé dans la roche à 2900 m entre la France et l'Italie pour faire passer des convois muletier de marchandises.

Tunnel de la Traversette, ou la Buco di Viso

Je repasse en Italie par une brèche sans nom et suis quelques points de peinture rouge, la montée est assez technique et les pas d'escalades s'enchainent, je commence à me demander dans quoi je m'engage. Mais j'atteins enfin le sommet, plus qu'exigüe, je ne peux guère bouger sans devoir poser les mains. Au sommet, une madone occupe la place et la vue à 360° est splendide : au sud la longue crête transfrontalière qui mène au Viso, le Queyras et les Écrins à l'ouest, la plaine du Po à l'est et des montagnes que je ne connais pas au nord.

Oui bon, il y a mon doigt sur une des photos, mais c'était pas facile de se tenir tout en tenant le téléphone et en ayant un recul suffisant.

Je ne m'attarde pas trop au sommet, déjà il n'y a pas de place pour s'assoir, et puis je sais que le plus dur m'attend.

La descente se fait en désescalade en grande partie, je ne vois pas trop par où passer, j'essaye divers passages, sans trouver rien de convainquant. J'aperçois 2 grimpeurs bien en dessous de moi, ça ne me rassure pas vraiment, je me demande ce que je fais ici. J'hésite à remonter en haut pour redescendre par là où je suis venu. Ce sera difficile, mais au moins je sais à quoi m'attendre. Finalement je finis par apercevoir une petite vire rocheuse en contrebas avec une sente. Si j'arrive à l'atteindre, je pense que c'est gagné. Et effectivement, bien longtemps après je prends pied sur cette vire. Je retrouve quelques traces de peinture qui me mène sans trop de problème au passo Luisàs. Ouf, la pression redescend. Finalement rien de très difficile techniquement, mais j'aurais vraiment été rassuré d'être assuré pour certains passages.

Il y a encore un peu de marche bien pénible dans un immense chaos au nord du col jusqu'au Lago Gelato, puis je retrouve un vrai sentier qui me mène dans le fond du val Pelice. La vallée est très jolie, remplie de mélèzes et de rhododendrons. Elle a visiblement gardée ces traditions, je croise plusieurs villages de bergers, composés de maisons toutes de pierres sèches et de toits de lauze, qui demeurent habitées. À l'opposé complet avec des villages abandonnés dans les vallées françaises, il y a du linge qui sèche aux fenêtres ou qui trempe dans le lavoir, des enfants qui jouent sur la piste, seul accès routier au village, et des gens qui discutent à l'ombre d'une vigne, sur la mini-terrasse d'une maison qui semble être le café plus ou moins officiel du village. Tout ça bien qu'il n'y ait ni électricité ni eau courante. Je suis au fin fond des vallées des Alpes italiennes. Ils font de la tome de vache et de la ricotta, mais j'ai trop à manger dans mon sac déjà. Je profite quand même du refuge Jervis pour recharger mon téléphone et prendre une bonne bière artisanale.

Val Pellice

Il est déjà 17h passé, j'hésite à rester là pour la nuit maintenant que je me suis arrêté, d'autant plus que le refuge et le personnel est très sympa. Je me motive quand même à repartir, la montée est à l'ombre maintenant. J'ai bien fait car une heure plus tard je me trouve un beau petit spot herbeux, à moitié en forêt au dessus du ruisseau d'Urine. Avec un nom pareil, il y a de quoi hésiter un peu, mais elle est bien fraiche et claire !

Bivouac en lisière de forêt

Après l'étape de ce matin, j'ai passé les difficultés techniques pour un moment. Les prochains jours se feront essentiellement sur des sentiers, par contre je vais jouer à saute-vallées, je resterai peu en altitude et enchainerai des gros dénivelés

Jour 11 : Combe d'Urine (Val Pelice) − Pian della Miliza

18 juillet 2023 25.7 km / ↗ 2197 m / ↘ 2146 m (Trace)

Le vent a soufflé violemment et m'a tenu éveillé en début de nuit. Je monte au superbe petit refuge Nino Sardi, perché sous le col de Bouchet. Il est minuscule et est tenu par des bénévoles, ils ne proposent pas de repas mais il y a un dortoir, une cuisine commune et quelques emplacements de bivouac autour.

En milieu d'après-midi, j'arrive au Pian della Miliza (où je rattrape l'itinéraire normal de la Trans'Alpes, que j'avais quitté il y a plusieurs jours pour passer près du Viso). Je ne me suis quasiment pas arrêté, la journée a été particulièrement inintéressante. Le paysage n'avait pas de charme, et surtout il a fait encore plus chaud et sec que les jours précédents, avec un violent vent chaud et sec qui souffle en rafales tourbillonnantes, rendant tout passage en altitude très pénible. Depuis le début de mon périple, je me suis petit-à-petit couvert chaque bout de peau exposée jusqu'au bout des doigts. Aujourd'hui je finis de me couvrir complètement avec le tour de cou qui me couvre le face, mes lèvres sont réduites à de la peau desséchée et crevassée.

Je me pose enfin sur le bord du torrent où je retrouve de l'ombre et en profite pour faire une grosse lessive (au moins ça sèche vite !).

Je me remets en route pour trouver un spot pour la nuit mais ne trouve rien de bien et finis par atteindre le gîte d'étape/ferme agrotourismo/refuge. Ce n'est pas très clair ce que c'est mais ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas y dormir : la dame, qui ne parle pas très bien français (et moi pas du tout italien) me dit que c'est complet, mais je vois bien qu'il n'y a personne à part le père et le fils. Et pour manger, c'est saucisson+pain sec ou fromage+pain sec. J'en ai assez de manger mes noix et biscuits ultra-secs, et c'est pas vraiment du fromage dont j'ai envie par cette chaleur, mais je suis quand même curieux de gouter à leurs fromages. Le seul autre client est un français qui fait aussi la Trans'Alpes à sa sauce, avec plein de détours, en sens opposé au mien. Les fromages sont ultra-salés, à un tel point où je sens à peine le goût du fromage. Ou c'est moi qui rêve de trucs frais et juteux…

Comme il n'y a rien après le refuge, je fais demi-tour et retourne là où j'avais fait ma pause. C'était pas si mal finalement, je ne sais pas trop pourquoi j'y suis parti. Il est 21h, à 2100 m, il fait 20°C et j'ai toujours trop chaud.

Jour 12 : Pian della Miliza − Clot'd la Fountana (Montagne Seu)

19 juillet 2023 29.7 km / ↗ 1883 m / ↘ 1837 m[/i] (Trace)

Un orage passe en fin de nuit et mouille à peine le sol. L'air est un peu plus frais et humide sur le matin mais ça ne durera pas longtemps. Je repasse devant la ferme-refuge d'hier, les chiens ne semblent pas se souvenir de moi et viennent m'aboyer dans les pieds.

Je franchi le col Clapis qui m'amène dans le Val Troncea. C'est très sauvage en altitude et au fur et à mesure que je descends, le sentier devient envahi par une végétation luxuriante. Malheureusement ce beau sentier s'arrête brusquement sur une piste en fond de vallée, que je vais devoir suivre jusqu'à Pragelato sur une douzaine de kilomètres. La piste elle n'a aucun intérêt à mes yeux, mais semble être très appréciée par tout une foule de vttistes, promeneurs, colo de vacance… qui défilent en continu. Doux retour à la civilisation…

À Pragelato, village de montagne défiguré par les constructions des JO d'hiver, je ne vois qu'une ribambelle de chalets de vacances qui suit le fond de vallée. J'arrive de justesse à l'épicerie du village avant la fermeture de midi, le gérant me laisse entrer. Je n'ai pas le temps de me familiariser avec ce qu'on peut trouver dans une épicerie italienne, j'achète un melon (dont je rêve depuis longtemps) et de la sauce tomate dans laquelle je pourrai tremper mes biscuits secs. En passant devant l'office du tourisme, je découvre une borne de recharge pour vélo électrique, parfait pour recharger mon téléphone pendant que je mange sur un banc à l'ombre.

J'espérais trouver un coin tranquille pour faire la sieste et laisser le soleil redescendre un peu avant d'attaquer la longue remontée, mais ne trouve rien donc je repars aussitôt. Heureusement le sentier est plutôt ombragé, à travers des haies entre les pâturages, c'est pas si moche et je peux facilement oublier l'agitation de la vallée que je viens de quitter.

Je bivouaque dans une clairière au dessus du hameau de Montagne Seu.

Jour 13 : Clot'd la Fountana (Montagne Seu) − Lac de Mont-Cenis

20 juillet 2023 33.8 km / ↗ 2886 m / ↘ 2677 m (Trace)

La descente en forêt sur Salbertrand est très belle au petit matin, mais plus je descends plus je me rend compte que la vallée est loin d'être chouette : autoroute, gravière, champ de tir militaire… tout ça s'entend de loin. Par contre le village en lui même est très joli et coupé du bruit ambiant, et a gardé son côté traditionnel. Le nom des lieux est dans un patois local (l'occitan alpin a priori) plus proche du français.

Hameau de Montagne Seu

Salbertrand

Je ravitaille un peu, il vaut mieux privilégier l'épicerie la Bodega à l'extérieur du village, en plus il fait bar et a une borne de recharge pour vélo électrique à l'extérieur (où je peux brancher mon téléphone). L'épicerie du centre du village est très pauvre en choix. Je me permets quelques extras vu que je ne prends à manger que pour aujourd'hui et croiserai encore des commerces demain : fruits, carottes, sauce tomate…

Finalement après ce deuxième petit-déj/pré-repas de midi, la matinée est bien avancée quand je me remets en route. Je franchi le col d'Ambin, où je repasse en France pour un bon moment. Au col, je suis interpelé par la douane alpine, un agent est perché sur son promontoire et m'observait monter (je ne l'avais pas vu).

Contrôle douanier au col d'Ambin

− Arrêtez-vous Monsieur. D'où arrivez vous ? Avez-vous quelque chose à déclarer ?
− Non rien. J'arrive de Salbertrand. 1800m de montée, je suis content d'arriver !
− Je vois ça, ça fait un moment que je vous ai vu et vous attends, vu votre rythme… Vous n'êtes pas très adroit dans les éboulis vous autres humains…

Je me fais encore ridiculiser par ces satanés bouquetins, mais je trouve un moyen de l'impressionner.

− Ah oui, mais je suis plus habile pour monter sur du rocher. Et là, hein, vous faite moins le malin Monsieur l'agent !

Le bivacco Walter Blais sur le col (côté France en fait) est ultra cozy : intérieur tout en lambris, matelas, oreillers, couvertures, il y a même la lumière avec un petit panneau solaire sur le toit. Ultra propre bien sûr, pas un grain de poussière. Tout ça donne juste envie de se vautrer sur les matelas et ne plus bouger. Dommage qu'il soit encore si tôt.

Je traverse un très bel environnement glaciaire avant de plonger dans le fond du vallon d'Ambin, qui lui est beaucoup plus fréquenté.

Sous le glacier d'Ambin

Eau laiteuse du vallon d'Ambin

Une dame m'interpelle au parking du fond du vallon. Elle attend sa famille partie en randonnée et s'impatiente. Un oncle les emmène randonner pendant leurs vacances, et deux de ses filles sont déjà revenues avec une sévère entorse à la cheville les jours précédents et sont maintenant clouées au lit, elle s'inquiète de comment elle va retrouver sa troisième fille, la seule rescapée jusqu'à présent. Ça à l'air violent les rando avec leur oncle dit donc !

Le plateau du Mont-Cenis, où je comptais bivouaquer, s'avère être karstique, le seul point d'eau est la fontaine du refuge. Je n'ai pas vraiment envie d'y dormir, donc je fais le plein complet pour le soir et continue jusqu'au Grand Plan, qui surplombe le plateau et le lac du Mont-Cenis.

Je peux apprécier la belle vue d'ici :

Vue sur la dent d'Ambin

Lac du Mont-Cenis

Il fait plus frais depuis le passage du Col d'Ambin et le temps semble se dégrader. On verra demain…

Petite note culinaire du soir : recette spécialité italienne, le risotto de pâte :

N'ayant trouvé que des pâtes et pas de semoule dans la première épicerie que j'ai faite à Salbertrand, il faut que je trouve un moyen de les cuire en économisant l'alcool au maximum.

Fort de mon séjour en Italie, voici donc la fameuse recette traditionnelle du risotto de pâte, très difficile à réussir du fait de ces deux seuls ingrédients :

Ingrédients :

  • des pâtes, les plus petites possibles, sinon les broyer à la main pour les rendre plus petites
  • de l'eau

Préparation :

  • faire tremper les pâtes dans un fond d'eau froide quelques temps
  • commencer à chauffer, puis ajouter de l'eau petit à petit, il faut garder un frémissement tout en s'assurant que ça n'attache pas au fond
  • poursuivre jusqu'à épuisement de l'alcool dans le réchaud
  • laisser encore gonfler quelques temps dans leur eau chaude jusqu'à ce qu'elles soient al dente puis saler/assaisonner avec ce que vous avez.

Note : attendez d'être côté français pour préparer ce plat, des fois que vous seriez surpris par la mafia culinaire italienne. Je décline toute responsabilité de ce qui pourrait vous arriver…

Jour 14 : Lac de Mont-Cenis − Lanslebourg

21 juillet 2023 14.4 km / ↗ 515 m / ↘ 1463 m (Trace)

Au pas de la Beccia, changement de décor, je fais face au massif de la Vanoise et ce qui m'attend demain. Il y a en ce moment un beau spectacle de sons et lumières sur ses glaciers. D'ici, je suis à peu près épargner par le gros des averses.

Orage sur le glacier de la Vanoise

Fort de la Turra

Je fais un petit détour pour visiter les restes du fort de la Turra. Les bâtiments sont pour la plupart en ruines, mais il y a de larges galeries accessibles qui s'enfoncent dans la montagne et débouchent sur des fenêtres dans la falaise du versant est.

Fort de la Turra

J'arrive à Lanslebourg en fin de matinée, ce sera tout pour aujourd'hui : j'en suis à peu près à la moitié de la traversée et avance bien, donc je m'accorde une journée de repos. Surtout je vais entrer dans le parc naturel de la Vanoise demain et vais devoir caler mes 2 prochains jours en fonction des refuges.

J'achète plein de trucs frais, me fais un gros festin puis une sieste. Le camping du village est agréable, au calme et avec une belle vue, et les gérants sont très sympa.

Je profite d'être là pour partir à la recherche d'une nouvelle cuillère. Pour l'anecdote, j'ai cassé ma cuillère le premier soir de mon périple, à Sospel, mais d'une façon qui faisait que je pouvais toujours m'en servir, à condition de ne pas trop forcer. Le manche a fini par se casser définitivement hier soir. 14 jours à en prendre soin, malheureusement pour elle, elle ne verra pas la fin de la rando :'(. Les quelques magasins d'articles de sport/montagne de Lanslebourg ont tout ce qu'il faut pour faire un véritable défilé de mode sur les sentiers de montagne, mais point de cuillère… Je finis par obtenir une fourchette jetable pour 4 €. Heureusement, elle venait avec une délicieuse part de tarte aux myrtilles, ce qui m'arrangeait d'autant plus. J'espère juste que cette fourchette sera un peu plus durable que ladite part de tarte, car elle n'a pas fait long feu une fois dans mes mains !

Jour 15 : Lanslebourg − Refuge de la Femma

22 juillet 2023 18.9 km / ↗ 2054 m / ↘ 1095 m (Trace)

La demi-journée de repos hier m'a fait du bien, je suis en pleine forme, bien rassasié et j'ai hâte de repartir (plus qu'une demi-journée, je me serai ennuyé). L'étape d'aujourd'hui est courte car je serai obligé de dormir à côté du Refuge de la Femma, mais en majorité hors-sentier (ou j'aurais aussi pu traverser tout la partie en Vanoise d'une traite, mais ça aurait fait vraiment long). Le temps est enfin plus frais (enfin, des températures normales qu'on peut s'attendre à avoir en montagne quoi).

Tempête de nuage

Je monte à la pointe du Grand Vallon en 3h30 (je suis réellement en forme). Je n'ai pas vu de cairn, mais il n'y a pas vraiment de difficulté d'orientation. Dans la montée finale, je pense qu'il vaut mieux passer le plus à droite possible pour grimper dans quelque chose qui se tient. Ailleurs, c'est 2 pas en avant, 1 pas en arrière (voir l'inverse).

Montée à la pointe du Grand Vallon

Au sommet, j'attaque le beaufort face aux glaciers de la Vanoise. Il y a depuis ce matin pas mal de nuage qui ont du mal à se lever, mais loin de gâcher le paysage, ils masquent certaines parties de la montagne pour mieux en admirer d'autres, et laisser imaginer ce qu'il y a derrière eux. Au lieu de prendre quelques secondes pour regarder le paysage, tout en croyant avoir tout vu, je dois passer un long moment à observer ce que les nuages me laissent voir, et patienter qu'ils se déplacent pour voir le reste de la scène. Finalement, je vois bien plus de choses grâce à eux.

À la pointe du Grand Vallon

Vue ouest depuis la pointe du Grand Vallon : glacier de la Vanoise

Je poursuis en redescendant dans le chaos de roche d'un ancien glacier, guidé par quelques cairns. Un petit détour par le sommet du Turc me permet d'avoir une meilleure vue sur le glacier de la Vanoise.

Vue sur le glacier de la Vanoise depuis le Turc

Lac du Vallonnet

Malgré les innombrables pauses de la journée, j'arrive au refuge à 16h. C'est contrariant, j'avais vraiment envie de marcher aujourd'hui, mais poursuivre jusqu'à sortir du parc n'est guère envisageable. Le gardien est très sympa, mais c'est plus un gîte qu'un refuge vu la taille et l'aménagement intérieur du bâtiment. J'ai de plus en plus de mal avec les refuges en montagne, qui pour certains deviennent sur-fréquentés, s'agrandissent/sont rendus plus « confortable » et finissent pas devenir des destinations en soit ; plusieurs personnes étaient là juste pour manger/dormir au refuge et repartaient le lendemain à leur voiture par le même chemin.

Les prévisions pour après-demain se confirment, averses orageuses toute la journée. Ça m'embête bien car c'est le jour où je prévoyais de faire la Grande Sassière. Je suis assez déçu, c'était un sommet que j'aurais vraiment aimé faire. Pour compenser, je planifie de faire la pointe de la Sana demain matin.

Jour 16 : Refuge de la Femma − Lac de la Sassière

23 juillet 2023 26.9 km / ↗ 2118 m / ↘ 1886 m (Trace)

Après une montée hors-sentier à la pointe de la Sana, je suis assez déçu par la vue : une sorte de brume fait que la vue ne porte vraiment pas loin. Les sommets et glaciers environnants se distinguent, légèrement grisés, mais pour le reste, je ne vois rien.

Depuis la pointe de la Sana

Lac des Barmes de l'Ours

Crête jusqu'au col de la Rocheure

Je suis la petite crête jusqu'à retrouver mon tracé, au col de la Rocheure. Le secteur des Pissats est spectaculaire, des roches noires, blanches, ocres parsemées de petits lacs. Je peux aller de lac en lac et me laisser errer dans ce paysage lunaire, à l'écart du sentier qui canalise la plupart des randonneurs.

Lacs du Pisset

Lacs du Pisset

J'avais choisi de dévier du tracé de la Trans'Alpes pour éviter l'usine à Touriste qu'est l'agglomération de Tignes et passer par Val d'Isère, je pense ne rien manquait d'intéressant. Bon, Val d'Isère c'est vraiment moche, mais au moins c'est plus vite fait à traverser. Je fais un petit ravitaillement au Spar de la station, la seule épicerie d'ouverte un dimanche en milieu de journée, c'est cher et il y a peu de choix, mais je n'ai pas le courage d'attendre la réouverture des autres épiceries.

Je suis d'ailleurs tellement pressé de repartir que j'en oublie de faire le plein d'eau. De toute manière je n'ai pas vu de fontaine dans la ville. Il n'y a pas d'eau avant le col de Picheru, tant pis, je ferai la montée avec quelques gorgées.

Je me trouve un bel endroit bien tranquille avec vue sur la Grande Sassière et sa magnifique crête (que je ne ferai pas :'( ), le lac de la Sassière et le glacier de Rhêmes-Golette.

Bivouac avec vue sur le glacier de Rhême-Golette

Jour 17 : Lac de la Sassière − Les Savonnes

24 juillet 2023 31.3 km / ↗ 1628 m / ↘ 2279 m (Trace)

Comme attendu, je commence la journée sous les averses orageuses. À peine 1h après être parti, j'écope d'une violente averse de grêle, avec des grêlons particulièrement gros m'obligeant à trouver une protection sur le champ. Tout ce que j'ai à portée est le petit muret du barrage du lac de la Sassière. Accroupi derrière, c'est loin d'être efficace mais au moins ma tête est à peu près protégée.

Heureusement la suite se passe en partie en forêt, les arbres amortissent un peu les grêlons. Cette forêt est d'ailleurs très jolie, encore plus sous la pluie et la brume, elle me fait penser au Haut-Jura. Je retrouve des combes herbeuses miniatures, bordées de chaque côté par les conifères. Magnifique endroit de bivouac dans ce paysage à la Croix du Bario. Dès que la visibilité se dégage, je profite de la vue sur les glaciers et leurs immenses cascades sous le Dôme de la Sache et le Mont Pourri.

Dôme de la Sache et ses glaciers

depuis la Combaz

Ce paysage forestier avec vu sur les glaciers dure jusqu'à atteindre le hameau du Monal, puis je prends de l'altitude jusqu'aux fermes du Clou. Elles sont en ruine et n'offrent guère de quoi s'abriter, mais je tombe sur une sorte de cave à demi enterrée qui me permet de manger au sec.

Les éclaircies semblent prendre le dessus, tant mieux car l'après-midi est plus ardue. J'atteins le lac du Clou par une petite sente, puis les jolis lacs Verdet (plus de sente mais quelques rares cairns), et de là je rejoins le lac Blanc, coincé dans la moraine de l'ancien glacier de l'Argentière.

Tout n'est que caillasse grise et névés blancs, mais ce lac contrebalance totalement cette absence de couleur en m'offrant une infinité de teintes de bleu et vert.

Milles couleurs sur le lac Blanc

J'avais à un moment penser bivouaquer ici, mais trouver un endroit dégagé de toute pierre semble utopique, et puis avec un temps encore assez instable, je préfère être moins haut en altitude. Pour redescendre dans le vallon de Mercuel, dans mes infos glanées en planifiant mon parcours, j'avais noté de plutôt suivre l'arrête jusqu'à la Pointe des Gavies. Mais je trouve une belle sente à travers les éboulis et marquée à la peinture sur le tracé normal, pas besoin de s'embêter.

Arrivé en bas, c'est rhododendrons + myrtilliers partout, ça va être compliqué de trouver une place dégagée. Il y a aussi le refuge de l'Archeboc, mais ce soir je n'ai pas envi de refuge (bizarrement d'ailleurs avec toute la pluie de la journée). Je tente de rejoindre les Savonnes, hameau à moitié abandonné, il semble y avoir des prés autour. C'est alors que je vois apparaitre une énorme masse noire dans le ciel, et elle semble se rapprocher assez vite. Je presse le pas, puis cours. J'atteins les Savonnes, ça ne tombe pas encore, j'ai le temps de me chercher un abri. Rien de génial, je me sous le maigre porche d'une des maisons. Ce matin, c'était des cerises qui tombaient, là c'est quasiment des prunes !

Ça ne rigole pas la grêle ici !

Je me demande si mon tarp pourrait résister à ça, au cas où ça se poursuit dans la soirée. Je me dis qu'il faudrait que je trouve plutôt un endroit en forêt. Il n'est pas très tard, je fais la provision d'eau pour le soir et continue à descendre la vallée, il semble y avoir un replat en forêt sur la carte. Après quelques kilomètres, je constate que le replat est recouvert d'une dense végétation, ça ne va pas être possible de m'installer là. Bon, ben je reviens où j'étais alors et tombe sur une vieille grange, avec un bon toit de lauze et un sol en terre battue. Et si je m'installais là ? Une autre averse passe, ça goutte un peu partout et le sol est en fait bien boueux. C'est pas top mais c'est un bon abri de secours en cas de grêle. Je m'installe sur un mini replat herbeux à côté. Puis finalement tombe sur un endroit bien plus plat et moins en cuvette plus loin, donc je démonte tout est vais m'installer là-bas. Bon cette fois je ne bouge plus ! Après toute ces tergiversations, il est tard, je mange et m'endors.

Jour 18 : Les Savonnes − Lac d'Arpy

25 juillet 2023 24.8 km / ↗ 2258 m / ↘ 2112 m (Trace)

Finalement il n'y aura pas eu d'autres averses de grêle, mais il est tombé des trombes d'eau toute la nuit. Je suis au sec.

La matinée se passent sous un temps gris, les éclaircies se font rares mais il n'y a pas de pluie. Je trouve le paysage moins intéressant jusqu'à repasser en Italie au col du Tachuy. En fait je trouve que ça ressemble étonnamment au Mercantour, avec beaucoup de rhododendrons et les mêmes roches granitiques. Même les lacs semblent partager leurs couleurs avec ceux du Mercantour.

Côté Italien, ça change complètement. Les lacs de Bella Comba sont magnifiques, et la vue sur l'immense glacier du Ruitor d'autant plus. Après avoir traversé son impressionnant torrent de fonte, je fais une pause au refuge Deffeyes pour un bon plat chaud de pâtes. Les averses de la veille ont sérieusement rafraichît l'atmosphère, il fait 9°C au refuge en milieu de journée.

Lac de Bella Comba

Glacier du Rutor

Je profite du refuge pour faire un point météo : rares averses dans l'après-midi, mais pas d'orage. Cool, je peux continuer par le pic Colmet. Après un petit lac en cœur coincé dans un chaos de gros blocs (invisible du sentier, je quitte le sentier et remonte le vallon du col Colmet, sur l'arrête de sa rive droite, ça passe bien. Il faut éviter à tout pris le fond du vallon, qui lui est rempli d'un champ de roches qui semble bien pénible à parcourir. Quand ce n'est plus possible de suivre l'arrête (falaises), j'ai continué en rentrant dans le vallon, sur une moraine herbeuse (toujours rive droite en étant un peu au dessus du fond du vallon). Puis arrivé au pied du col, je suis monté dret dans le pentu vers le pic. Jusque là j'étais assez satisfait de mon itinéraire, mais la montée finale est raide dans un terrain assez glissant, j'aurai peut-être mieux faire de rejoindre le col (et rentrer dans son pierrier) avant de prendre la direction du pic.

En haut, je suis accueillis par un fort vent et de la petite pluie. Je regarde ma montre : 3°C… Je n'ai plus de visibilité. Je suis sur un chaos de roche sur la crête, mais ne sais pas trop où est le sommet ni comment le rejoindre. J'attends un peu en m'abritant sous les blocs, ça se dégage légèrement ce qui me permet de voir qu'il n'est plus très loin et que ce passage dans les gros bloc, rendus glissant par l'humidité, ne dure pas. Pour la belle vue d'ici, je peux oublier. Par contre dans la redescente une fois sorti des nuages, j'ai droit à un bel arc-en-ciel sur le Val d'Aoste.

Lago di Pietra Rossa et Val d'Aoste

La descente vers le lac de Pierre Rouge est plus ou moins cairnée mais je ne comprends pas la logique de ce tracé, ce qui fait que je le perds régulièrement, et finis par y aller suivant ma logique à moi. Ce n'est qu'une fois arrivé au lac d'Arpy, 1000 m plus bas, que je commence à me réchauffer, alors que le soleil revient. J'avais toujours toutes mes couches sur moi. Le lac d'Arpy est joli mais venté, et à l'heure où j'arrive (pourtant avancée) je croise encore des promeneurs. Je me trouve un endroit tout aussi joli, un peu à l'écart.

Bivouac au lac d'Arpy

Le vent se maintiendra toute la nuit, et la pluie reviendra également. J'ai trouvé cette journée particulièrement dure par rapport aux autres jours (la montée au mont Colmet combinée aux mauvaises conditions).

Jour 19 : Lac d'Arpy − Sous le Colle Bataglionne Aosta

26 juillet 2023 23.4 km / ↗ 2167 m / ↘ 1716 m (Trace)

Lac d'Arpy

Il fait toujours froid suite au mauvais temps des derniers jours, mais le soleil semble revenir. Je commence par une longue descende sur Morgex. Je commence à en avoir un peu marre de ces passages en fond de vallée qui s'enchainent depuis une semaine : Pragelato, Salbertrand, Lanslebourg, Val d'Isère, et maintenant Morgex. C'est sûr que ça me permet de ravitailler facilement et de n'avoir à porter que pour 2 ou 3 jours maxi de bouffe, et de manger des trucs frais plus régulièrement. Mais ça oblige à de longues descentes et remontées souvent inintéressantes, avec le bruit de la vallée en fond sonore. Je préfèrerais passer ce temps ailleurs. Morgex bat les records d'altitude, étant situé à 920 m. C'est la première fois depuis Sospel que je descends si bas !

Massif du Mont Blanc

À Morgex, le village est assez fourni en commerces : boulangerie (avec à côté une borne de recharge pour VAE, toujours bien pratique pour y recharger mon téléphone), fruiterie, 2 épiceries « à l'ancienne » avec un service au comptoir qui vendent surtout du fromage, de la charcuterie et un tas de variétés de pâtes fraiches. Ces dernières font bien envie, mais compliqué à transporter. C'est surtout au gros supermarché à la sortie de la ville que je trouve pas mal de trucs secs pour refaire mes réserves. Évidemment, comme il y a plein de choix, j'achète trop… Je trouve aussi plein de trucs en tube, et c'est bien pratique, le contenant n'est pas très lourd, ne prend pas de place et se referme de manière sûre) : purée de tomate, pâte d'anchois, thon à la tomate…

La suite est surement la partie la plus ennuyeuse de la traversée, 1000 m de D+ entièrement sur une piste forestière asphaltée par endroit. En versant sud, la végétation n'a rien à voir avec les autres vallée alpines, les pins, acacias, chênes… poussent sur un sol calcaire aride. Ensuite dans la vallée de Chambave, je retrouve un bon sentier qui monte au col du bataillon d'Aoste.

En montant au Battaglione d'Aosta

Au col, j'ai une vue de premier choix sur le massif du Mont Blanc. C'est seulement aujourd'hui, alors que plus aucune montagne ne se trouve devant, que je peux le voir réellement. Les jours précédents la vue était trop bouchée pour apercevoir ses plus hauts sommets. Je rejoins un replat herbeux pour m'installer pour la nuit et profiter du double luxe d'être à la fois tout seul et aux premières loges pour le spectacle du soir !

Mon minuscule abri face aux Grandes Jorasses

Jour 20 : Sous le Colle Bataglionne Aosta − Bivacco Fiorio

27 juillet 2023 19.2 km / ↗ 1632 m / ↘ 1449 m (Trace)

Premiers rayons sur le Mont-Blanc

Encore une nuit bien froide, et ce n'est pas la descente à venir qui va me réchauffer, donc je pars avec la doudoune.

Alors qu'hier après Morgex, je n'avais pas croisé un seul randonneur, aujourd'hui je vais déguster car je rejoins l'itinéraire du Tour du Mont Blanc au refuge Bonatti, dans le Val Ferret. Entre les randonneurs qui font le tour complet et tout le monde qui se balade à la journée, je n'ai pas beaucoup de répit. Mais pour voir le bon côté, c'est le lieu idéal pour apprendre à dire bonjour dans plein de langues. J'entends même un « bon día » d'un couple de Catalan. Je rigole devant eux, c'était bien la peine de quitter l'Ariège pour parler catalan dans les Alpes italiennes !

Vallon de Malatra

J'arrive au bivacco Fiorio en début d'après-midi et m'accorde un gros repas. La vue au pied du glacier du Pré de Bar est grandiose. Il n'y a personne, j'ai quitté le tracé du TMB depuis un petit moment. Je n'arrive pas à me décider si je reste ici pour la nuit ou si je continue : des averses sont annoncées pour les 2 prochains jours, donc c'est bête de ne pas profiter du beau temps d'aujourd'hui pour avancer. Mais en même temps, j'ai deux jours d'avance et je ne suis plus qu'à une grosse semaine de la fin. Qu'est-ce que je ferai de ces deux jours de trop ?

Bivacco Fiorio devant le Glacier du Pré de Bar

Je décide finalement de rester dormir au bivacco mais de profiter de l'après-midi pour explorer les environs. Je laisse la plupart de mes affaires au bivacco et monte dans les névés à une brèche vers 3200 m sous le Petit Grepillon, ce qui me permet d'avoir une vue sur les Alpes Suisse et d'autres sommets du massif du Mont Blanc que je ne saurai nommer que plus tard. Je redescend en suivant au plus près le glacier.

Aiguille de Triolet

Glacier du Pré de Bar

Ce sera une belle soirée face au glacier et ses grondements.

Jour 21 : Bivacco Fiorio − Val d'Arpette

28 juillet 2023 29.0 km / ↗ 2150 m / ↘ 2724 m (Trace)

Ce matin je quitte (définitivement cette fois) l'Italie pour la Suisse. À La Fouly, je profite de l'épicerie du village pour acheter quelques fruits et du fromage. Le strict minimum, car les prix suisses me dissuadent bien vite de tout excès. Heureusement que j'avais trop acheté à Morgex finalement !

Glacier de Saleina

La suite se déroule sans encombre, je reste un moment en fond de vallée à suivre la Dranse de Ferret puis remonte le vallon de Saleina, jusqu'à atteindre le magnifique glacier d'Orny. Je monte un peu pour l'admirer, jusqu'au refuge. Ce refuge d'ailleurs m'enlève toute envie de m'y arrêter. À l'extérieur, j'y lis quelques panneaux d'informations : je suis sidéré quand j'apprends que l'eau potable est héliportée (c'est pas comme s'il y avait un glacier et l'eau de fonte à volonté…), toute l'électricité provient d'un groupe électrogène, fonctionnant au mazout héliporté aussi évidemment. Je ne sais pas si tous les refuges suisses sont comme ça, mais j'ai connu des refuges plus autonomes que ça…

Glacier d'Orny

J'espérais avoir du temps pour remonter le glacier à sa source, en aller-retour jusqu'au col d'Orny pour avoir une vue sur le glacier du Trient, mais des averses orageuses sont prévues en fin de journée. Je poursuis donc ma route, mais je suis un peu à plat.

Au col de la Breva, j'aperçois pour la première fois la vallée du Rhône et le lac Léman ! Dans une semaine de marche, je serai sur ses berges :

La descente de ce col dans les pierriers me paraît ultra-pénible, et la remontée qui s'en suit n'en parlons pas. D'autant plus que pas moyen de trouver un endroit plat qui ne soit pas envahi par les rhodo et les myrtilliers. Lorsque je trouve enfin, bien à l'écart du sentier, je me rends compte que le ruisseau que je remontais depuis le début s'est tari ! Mon tarp monté, au cas où il se mette à pleuvoir, me voila bon pour redescendre chercher de l'eau… quasiment tout en bas, puis tout remonter à nouveau. Ça finira de m'achever. Une heure plus tard, je suis enfin sous mon tarp avec de l'eau. La bonne nouvelle, c'est qu'il ne pleuvra finalement pas.

Jour 22 : Val d'Arpette − Vallorcine

29 juillet 2023 20.0 km / ↗ 1481 m / ↘ 2319 m (Trace)

Généralement le matin je suis toujours en forme, mais là non, je n'ai plus d'énergie dans les cuisses, comme si je n'avais pas récupéré de la journée d'hier, qui n'avait d'ailleurs rien d'exceptionnelle par rapport aux autres. J'ai aussi une curieuse sensation de démangeaison et de la peau à vif sous la voute plantaire d'un de mes pieds depuis hier, et à mon autre pied maintenant aujourd'hui, qui me gène de plus en plus pour marcher. Je mets un moment à me rappeler, j'avais déjà eu ça par le passé : ça fait trop longtemps que je n'ai pas laver mes chaussettes au savon…

Val d'Arpette

Heureusement, passé la fenêtre d'Arpette, la vue sur la langue glaciaire du Trient me redonne un peu d'énergie.

Glacier du Trient et Aiguille du Tour à gauche, glacier des Pétoudes à droite Langue du glacier du Trient

Il y a de sérieuses averses de prévues dès midi, et comme j'ai toujours des jours d'avances, je me dis que ça ne sert à rien de continuer à marcher sous la pluie et, surtout, de passer à côté du paysage. Je cherche donc un potentiel coin pour bivouaquer et passer le restant de la journée, même si pour le moment il fait beau.

Rien en fond de vallée du Trient, à part une buvette aménagée dans une ancienne bergerie. Par curiosité, je jette un œil sur les prix : le moins cher que je vois est de l'eau minérale, 12 CHF le litre ! Heureusement que l'eau ne manque pas dans cette vallée. Et sinon pour une part de tarte aux myrtilles, pensez à demander un crédit à votre banque…

Je m'échappe bien vite d'ici et monte sur un très agréable sentier qui serpente entre les mélèzes et bordé de nombreuses fleurs et d'une épaisse végétation d'alpage.

Puis j'arrive au refuge de Balme, où je repasse en France, dans le brouillard, la pluie et le vent. Ça y est, les averses sont là. Ça a au moins le mérite de cacher les remontée mécaniques de la station en contrebas. Une télécabine est en fonctionnement, ce qui explique le monde malgré le temps pourri. Je poursuis jusqu'à Vallorcine, située en fond de vallée, dans la forêt sous des crachins intermittents et à l'abri du vent. C'est plutôt agréable, d'autant plus qu'il ne fait pas froid.

N'ayant finalement rien trouvé avant, je m'arrête au camping de Vallorcine, en début d'après-midi. L'épicerie dans le village, à 15 minutes du camping, n'est pas très fournie et est chère, mais la gérante est très sympathique. En fait, je pense qu'elle devait surtout s'ennuyer dans son magasin et avec ce temps !

De grosses averses passent pendant que je mange et me repose à l'abri après une bonne douche chaude. Finalement ça valait le coup d'atteindre Vallorcine.

Jour 23 : Vallorcine − Passy

30 juillet 2023 27.1 km / ↗ 2226 m / ↘ 2132 m (Trace)

La matinée commence dans une ambiance fraiche et humide, il reste encore beaucoup de nuages des averses de la veille. Je remonte le vallon de Bérard, non sans un détour par la grotte à Farinet, grotte en fait formée par l'enchevêtrement de gigantesques blocs rocheux. Elle fut la cache d'un faux-monnayeur au cours du XIXème siècle.

Une fois au bout du vallon, la montée sérieuse commence. Je passe devant le refuge de la Pierre à Bédard qui à l'air très chouette : beau bâtiment en pierre d'une taille ridicule comparé aux refuges modernes.

Les nuages sont censés se lever et laisser place à une belle journée ensoleillée. Pourtant ils ne semblent pas pressés de partir, et rapidement je rendre dans le brouillard.

Vers le col de Salenton. Dernières vues avant de ne plus rien apercevoir.

Je ralenti le rythme, de plus en plus, pour leur laisser le temps de s'en aller, mais comme il commence à faire bien froid avec le fort vent qui fait remonter les nuages de la vallée et leur humidité, je ne peux pas non plus m'arrêter. Je finis par atteindre le sommet du Mont Buet, un 3000 qui me promettait une vue panoramique sur ces massifs des Alpes du nord que je ne connaissais pas… Malgré la température, je m'arrête ici pour manger un bout derrière un muret de pierre, en espérant toujours que ça se lèvera. Après deux bonnes heures à patienter, engourdi par le froid et l'humidité, je finis par abandonner et redescend par les crêtes. 100 m plus bas, je suis déjà sous les nuages et je comprends mieux la configuration : le versant ouest du Mont Buet sert de rampe de lancement à tous les nuages coincés dans le cirque des Fonts plus bas.

Arrête du Buet

Arrête du Buet

Côté est, c'est dégagé : Au dessus du glacier de Tré les Eaux

Je décide de faire un détour par le Cheval Blanc, moins haut que le Buet mais il n'est pas dans le passage des nuages lui. Mais il m'offrira une vue surtout sur d'autres nuages. Le massif du Mont Blanc restera bien masqué.

Massif du Mont Blanc depuis le Cheval Blanc

Le terrain dans se secteur est purement minéral et très facile, c'est un pur bonheur de marcher tout droit sans avoir à se soucier du relief.

Plan du Buet

Frustré de ne pas avoir eu les vues que j'avais imaginées et appréciant vraiment le coin, je commence à m'imaginer y revenir pour une semaine de rando, plutôt hors saison car il y a aussi pas mal de monde.

Je quitte le Cheval Blanc pour replonger à nouveau dans la purée de pois. Je retrouve un sentier qui passe par la Cathédrale, formation rocheuse particulière (dont je ne verrai pas grand chose) sur les crêtes qui séparent deux grands cirques, celui des Fonts et celui de Sixt-Passy.

Ce n'est que lorsque je perds sérieusement de l'altitude, vers le refuge du Grenairon, que je sors des nuages. Je découvre alors à quoi ressemble le cirque des Fonts.

Cirque des Fonts (avec une impressionnante plissure de roche) (et oui il y a une ligne THT qui passe en plein dans le cirque aussi…)

Mais je découvre aussi la vue vers le nord-ouest, sur la vallée du Giffre, le lac Léman, la crête du Jura et les montagnes du Chablais qu'il me reste à parcourir. Elles sont moins hautes déjà, ça sent la fin tout d'un coup et je suis un peu triste.

Vallée du Giffre

Je n'ai pas envie de passer la nuit à l'intérieur, il s'agit donc de trouver un coin après le refuge du Grenairon mais avant d'atteindre Sixt. C'est une longue descente et ça ne semble pas évident, mais je finis par trouver quelque chose qui fait l'affaire sur les pistes de ski alpin à la Joux de Passy, après avoir traversé le Nant Sec.

Une belle lumière de fin de journée, dans une ambiance forestière.

Jour 24 : Passy − Barme

31 juillet 2023 24.8 km / ↗ 2500 m / ↘ 2251 m (Trace)

Il fait super beau et dégagé aujourd'hui, et comme par hasard, le jour où je descend dans la vallée…

Je commence par rejoindre Sixt, les habitations alentours me font réellement penser à une banlieue de grande ville, mis à part que les maisons ressemblent à des chalets. Chaque parcelle a sa maison, son jardin avec la pelouse tondue, ses bagnoles devant le garage… Ce n'est pas la même vie que les villages des Alpes du sud. L'épicerie de Sixt pratique des prix exorbitant, mais le plus grave, c'est qu'ils n'ont plus de cacahuètes !!

Je galère aussi à capter du réseau dans le village même pour avoir la météo des prochains jours, et tourne en rond pendant un petit moment. Ça semble être le dernier jour de beau, et un déluge est prévu dès demain.

J'ai une longue portion en fond de vallée pour rejoindre le Bout du Monde, lieu dit au fond du cirque de Sixt-Passy. Comme il fait beau et chaud je décide sur un coup de tête de plutôt remonter au plus vite, toujours dans le but d'avoir une vue sur le versant nord du massif du Mont Blanc et les alentours. Je ne suis pas certains d'avoir choisi la bonne option car je remonte 1000m sur une piste caillouteuse inintéressante au plus haut point. Mais au mois je suis à peu près à l'ombre. Aux chalets de Salvadon, je continue sur un sentier qui s'estompe vite à mesure que je grimpe dans le pierrier. Avant d'atteindre la Pointe de Bellegarde, je franchi le pas de la Boite aux Lettres, passage étroit sous un surplomb rocheux, où je ne peux pas dire que ça se passe comme une lettre à la poste : il faut être fin comme une lettre pour y passer, les colis ne passent pas !

Montagne de Salvadon

À la Pointe de Bellegarde, 1800m plus haut, je peux enfin manger mon melon et mes pâtisseries de la boulangerie avec, littéralement sous mes pieds, le cirque de Sixt-Passy. Les sommets du massif du Mont Blanc quant à eux sont toujours dans les nuages.

Cirque de Sixt-Fer-à-Cheval

Au nord, la vue porte sur les Dents Blanches. Ça ne semble pas être un dentiste que les a nommées ainsi, elles sont bien grises malgré leur cure de dentifrice durant l'hiver et l'une d'elle est même cariée, on voit au travers !

Il est 17h lorsque je quitte le lac de la Vogealle, il aurait fait un beau spot pour passer la nuit. Mais comme le temps se dégradera fortement demain, je préfère passer les difficultés aujourd'hui, c'est à dire le pas du Taureau et de la Bide, ce qui me fait faire une grosse journée. Je suis toujours partagé entre profiter des jours de beau temps pour avancer, ou justement en profiter pour… juste prendre le temps de profiter.

Lac de la Vogealle

Montée au Pas du Taureau

La descente du Pas du Taureau est effectivement délicate, en désescalade dans un rocher friable, puis je me retrouve dans un secteur karstique. J'aurai bien passé la nuit à la cabane ouverte du col de Bostan mais il n'y a pas d'eau. J'espère pouvoir en trouver pour le bivouac dans la vallée de Barme car, même si je ne suis pas trop fatiguer de la journée, il se fait tard et je ne me vois pas pousser encore plus loin.

Je commence à apercevoir le fond de la vallée de Barme, avec ses fermes laitière suisse un peu partout. Tout en bas, j'entends un vacher qui tente de conduire ces vaches à la traite. Il est tout seul, sans chien pour l'aider et ses vaches sont tellement peut coopératives que je me demande qui de ses vaches ou moi arrivera en premier. Le suspens durera durant toute la descente, les vaches arriveront finalement les première, mais ça s'en ait joué de peu !

Dents du Midi

Une fois le Pas de la Bide franchi (où il ne faut là non plus pas en avoir un gros, de bide), j'arrive dans la vallée de Barme, un torrent coule au fond le long de la piste, entre plein de fermes laitière, c'est pas de l'eau très propre mais ça fera l'affaire. Je me trouve un super coin discret dans une clairière herbeuse au beau milieu des épicéas. Je me serais attendu à voir de la faune sauvage mais non, rien de toute la soirée.

Jour 25 : Barme − Sous le Mont de Grange

1 aout 2023 26.4 km / ↗ 1812 m / ↘ 1726 m (Trace)

Le temps est couvert, l'air est humide et il y a une belle lumière ce matin, presque un temps d'automne. C'est en fait très relaxant, à condition de ne pas penser au déluge annoncé.

Arc-en-ciel au Col de Coux

Lumière et nuages sur les Dents du Midi

D'ailleurs je profite d'avoir du réseau pour à nouveau consulter la météo du jour : les 40mm annoncés hier deviennent quelques millimètres sous forme d'averses passagères tout au long de la journée, pas d'orage. Bon ben tant mieux !

Je longe les crêtes du Chablais toute la journée. Le Chablais sont des moyennes hautes montagnes, des alpages partout et donc les crêtes n'ont rien de compliquée même par mauvais temps. Il y a des fermes laitières un peu partout, je domine des vallées assez urbanisées, ce n'est pas sauvage du tout et je suis bien moins haut en altitude, mais malgré tout ça reste de la végétation de haute montagne.

Le début des crêtes est quand même agréable, après ça je traverse le domaine skiable d'Avoriaz. L'avantage, c'est que j'ai plein d'abris disponibles, j'essaye de me synchroniser avec les averses pour arriver à temps au prochain abri avant qu'une autre averse n'arrive (mais je perds souvent à ce jeu…). En tout cas les abris de luxe de manquent pas : entre une cabane de remontée mécanique laissée ouverte où sont stockés des matelas mousse de protection et la terrasse vitrée en surplomb du restaurant d'altitude, elle aussi accessible, je regrette presque qu'il ne pleuvent pas plus pour rester plus longtemps !

En milieu de journée, alors que j'ai quitté les domaines skiables, j'ai de la chance d'avoir une longue éclaircie pour une sieste presque au soleil. J'ai toujours un peu d'avance et ne suis plus qu'à quelques jours de la fin. Vu les prévisions météo, je pensais m'arrêter tôt, par exemple au refuge de Chésery (il était 11h quand je suis passé devant…) histoire d'avoir un peu d'occupation et de compagnie pour passer le reste de la journée. Là je ne sais pas trop quoi faire, je suis déjà allé plus loin que prévu pour la journée. Le temps semble un peu s'améliorer, je décide de faire un aller-retour au Mont de Grange, sommet du Chablais. Mais avant, je fais un aller-retour par une piste jusqu'à une source pour refaire le plein d'eau. Au moment d'entreprendre la montée, il est bien dégagé. Un fois en haut, trop tard, les nuages sont revenus avant moi. J'arrive juste à avoir une vue sur le Léman pendant une dizaine de seconde.

Lac Léman et vallée d'Abondance depuis le Mont de Grange

Redescente, puis retour sur mes pas pour trouver un endroit de bivouac, non sans avoir refait un aller-retour à la même source sur la piste que tout à l'heure. Je commence à sérieusement tourner en rond !!

Jour 26 : Sous le Mont de Grange − Lac de Neuteu

2 aout 2023 25.9 km / ↗ 2225 m / ↘ 2178 m (Trace)

Après une marche tranquille et relativement peu intéressante sur des pistes qui relient les fermes laitières, je descends dans la vallée d'Abondance. Évidemment, le beau temps revient et les sommets se dégagent, à croire qu'ils font exprès de se cacher quand je monte les voir !

Pâturages vert fluo de la vallée d'Abondance

À la Chapelle-d'Abondance, la supérette est petite mais a malgré tout un bon choix d'aliments secs adaptés à la rando et a des prix raisonnables. Je prends le dernier paquet de cacahuètes (désolé pour les randonneurs suivants). Enfin des cacahuètes ! Je peux aussi faire le plein de carburant à la station en libre service :

Du SP95 (r)affinage 12 mois pour moi

Bien sympa cette coopérative laitière.

Finalement comme la matinée est déjà bien avancée, je mange tout ce que j'ai acheté pour le midi avant d'attaquer la montée aux Cornettes de Bise, tant que je suis encore dans la fraicheur du vallon avant d'atteindre les chalets de Chevenne. Sous les sapins et au bord du ruisseau, il fait bon et c'est joli.

Au lieu de prendre la direction du col de Vernaz, je continue de suivre le GR 5 jusqu'au pas de la Bosse. Ça me semble bien plus intéressant car de là, je peux traverser tout le système rocheux des Cornettes de Bise. Il faut mettre un peu les mains de temps en temps mais il y a une sente bien visible. Ou plutôt de multiples sentes, c'est ça la difficulté : toutes les sentes mènent à des départs d'escalade, sauf une qui mène au sommet. Un sorte de labyrinthe à une seule issue.

Là haut, j'ai enfin une vue panoramique sur le chablais, le reste, les hauts sommets des autres massifs environnants sont encore et toujours dans les nuages. La Dent d'Oche, le Massif du Mont Blanc et le Mont de Grange, et la vallée du Rhône

Ça reste une belle journée et il y a beaucoup de monde sur les sentiers. Les bouquetins eux aussi se sont organisés un grand pique-nique en famille : Ils ne daignent pas m'accorder une seule seconde d'attention…

Je n'avais pas anticiper la nature karstique du massif et je manque d'eau depuis le Pas de la Bosse, j'aurai du faire le plein au ruisseau sur le bord duquel j'ai mangé. Je fais un détour par la ferme de la Loz, où, heureusement, il y a une fontaine qui coule pour les vaches.

Le vent a progressivement forci dans l'après-midi, jusqu'à devenir violent. Le passage en crête entre les cols d'Ugeon et de Bise est très pénible, je garde l'équilibre grâce à mes bâtons tout en marchant le plus vide possible pour atteindre un endroit moins exposé. En redescendant du col, ça va un peu mieux et je décide de m'installer près du lac de Neuteu. Pour une fin de traversée, on ne peut pas demander mieux : sur une belle prairie d'alpage, un joli petit lac, et une vue au choix sur les sommets (Dent du Velan, Château d'Oche) ou le lac Léman et les lumières des villes qui scintillent, visibles mais suffisamment loin pour qu'on puisse ne pas y faire attention. Je n'ai pas encore retrouvé la civilisation, mais je ne suis plus tout à fait isolé en montagne non plus. Une belle sensation de transition.

Lac de Neuteu

Tout cela aurait pu me faire passer une belle soirée, malheureusement le vent a encore forci et, dans l'espèce de cirque où je suis, souffle en rafale successivement dans les 4 directions possibles. Je dois me réfugier sous mon tarp.

Jour 27 : Lac de Neuteu − Mont Bénand

3 aout 2023 30.9 km / ↗ 2028 m / ↘ 2599 m (Trace)

La tempête continue toute la nuit, impossible de fermer l'œil, je suis attentif à chaque rafale au mat et aux points d'accroches. Certains sautent, je bricole un meilleur encrage avec mon piolet et des pierres. Il se met à pleuvoir aussi, une grosse averse, au moment où mon tarp s'est a moitié ouvert. En un rien de temps, mon tapis de sol se transforme en piscine, et mon sac de couchage en crêpe. Heureusement, il ne fait pas froid, limite chaud. Une fois tout remis d'aplomb, je me recouche avec ma veste de pluie sur moi.

Finalement ça doit se calmer sur le matin car je finis par dormir un peu. Il a tellement soufflé sous mon tarp que, lorsque je me réveille, mon sac de couchage a séché, je n'en reviens pas.

Maintenant qu'il fait jour, je me rends compte que ce qui a lâché, ce ne sont pas mes sardines mais le gainage de la corde Dyneema, les tendeurs en plastique l'ont découpé, il ne reste que l'âme :

Même si le vent est moins violent que cette nuit, il reste bien présent et je n'ai qu'une envie, c'est d'avoir du calme. Je ne me pose même pas la question si je continue de suivre mon itinéraire, qui doit me conduire à la dent d'Oche. Je prends sans hésitation la direction de la vallée, direction Saint-Gingolph.

Sitôt dans la vallée de la Morge, je suis à l'abri du vent. La majorité de la descente se fait par une piste peu intéressante. La vallée est peuplée de chalets et maisons de vacances : la vallée est divisée en deux, un versant en Suisse, un versant en France. J'atteins Saint-Gingolph dans la matinée et marche un peu le long des berges aménagées jusqu'à la plage municipale.

J'ai la plage pour moi tout seul et l'eau est bonne, ça fait du bien !

À vrai dire je n'avais pas prévu rejoindre le Léman à Saint-Gingolph, mais c'est un village plutôt agréable pour une fin de Trans'Alpes. Le village est aussi à cheval sur la frontière, avec la douane en plein milieu du village au niveau du pont sur la Morge, torrent qui sert de frontière physique. Le même village de Saint-Gingolph fait donc parti de deux communes distinctes.

J'ai donc touché le Léman, ça sent la fin mais pas complètement puisque j'ai encore deux jours avant de prendre un train à Évian, ou Thonon. Je décide de suivre le GRP du Littoral du Léman que me permettra de revenir vers l'ouest. Bien que filer vers l'est est plus tentant, il y a des montagnes pour un bon bout là-bas. Et puis une erreur d'orientation est si vite arrivée ! Mais je ne suis pas sur que ma cheffe trouve ça recevable comme excuse, surtout quand on bosse dans la carto… Je m'en tiens donc à mon plan initial.

Le sentier reste majoritairement en forêt (j'y suis au frais et à l'ombre) et laisse entrevoir de temps en temps le Léman :

(les tâches sombres ne sont pas les ombres des nuages mais bien des différences de tons du au fond du lac).

C'est assez agréable, ce sentier apporte une touche de fin à mon périple. La flore n'a plus rien à voir avec une flore de montagne, je ne vois plus de sommets à l'horizon, mais ça reste quand même assez dépaysa, une étendue d'eau douce aussi grande.

Mon but pour le soir, vraisemblablement mon dernier bivouac, est de trouver un spot agréable avec vu sur le Léman (et sans trop de vent !). Ce qui est amusant, c'est qu'à partir de Meillerie, je remonte vers Thollon-les-Mémises, c'est-à-dire l'itinéraire officiel de la Trans'Alpes, sens nord-sud. Forcement pendant un instant, j'essaye de m'imaginer moi, fraichement débarqué à Meillerie, attaquant un mois de traversée des Alpes en direction de Menton. En ayant déjà en tête tous les paysages, les difficultés et tout ce que j'ai vécu, ça donne un peu le vertige !

À Saint-Gingolph c'était trop tôt, et à Thollon, pas un bar ou un café d'ouvert. Tant pis, je poursuis. Au col de Pertuis, je me rends compte que le vent de ce matin n'est pas tombé en altitude et que de toute manière il n'y a pas vraiment d'endroit plat sur cette crête.

Finalement, c'est au Mont Bénand, dans un pré, que je m'installe. La vue est plutôt satisfaisante, et je peux profiter d'une dernière soirée à admirer les couleurs des derniers rayons :

Jour 28 : Mont Bénand − Thonon-les-Bains, et conclusion

3 aout 2023 24.5 km / ↗ 397 m / ↘ 1147 m (Trace)

Cette journée n'a pas vraiment d'intérêt, j'ai voulu marcher jusqu'à Thonon seulement parce que j'avais le temps, mais je n'y ai trouvé aucun plaisir. Thonon c'est une grosse ville, j'ai traversé banlieues et centre industriels et commerciaux avant d'y parvenir. En fait j'avais imaginé suivre le GR5 qui passe plus au sud et en altitude, et qui évite la plaine, mais là pour le coup ça m'aurait fait trop long depuis Saint-Gingolph.

Dans ma tête cette journée là ne compte pas vraiment, la vraie fin, c'était le bivouac d'hier soir.

Je n'ai pas ressenti autant d'émotion que lorsque j'avais atteint la méditerranée à la fin de ma HRP, probablement déjà parce que là, la fin n'était pas clairement définie : le moment où j'ai atteint le Léman, le dernier bivouac et la fin de la rando, ou Thonon où j'ai réellement arrêté de marcher ? Et puis sûrement aussi parce que pour la HRP, je n'étais pas du tout certain d'arriver à marcher aussi longtemps (je n'avais jamais marché plus d'une douzaine de jours en continu avant) ni de finir dans le temps imposé par mes congés. La Trans'Alpes, distance et dénivelé à peu près équivalents, même ordre de difficulté, je ne me suis jamais imaginé un instant ne pas y arriver, c'était juste normal pour moi d'en atteindre la fin.

Aussi durant ces 29 jours, je n'ai pas eu autant de péripéties et rebondissements que lors de ma HRP (plus de téléphone dès le 2ème jour, colis de ravito perdu avec les cartes papiers dont je dépendais, grosse indigestion). Là il ne s'est pas passé grand chose de marquant, je pourrais même dire que tout c'est trop bien passé.

La partie que j'ai préféré est sans conteste le Mercantour (et surtout son penchant italien, le parc Alpi-Maritime), que je connaissais pourtant déjà un peu. C'était sauvage, austère par moment, la Trans'Alpes suivait sa crête principale. La principale motivation de cette Trans'Alpes était d'aller découvrir les Alpes du Nord. J'en suis resté à la fois sur ma faim et déçu : sur ma faim car à mon sens, une traversée telle que je l'ai faite a moins de sens dans les Alpes que dans les Pyrénées, chaque massif est tellement vaste qu'il me semble plus intéressant d'en faire un tour au lieu de le traverser : La Vanoise, les Cerces… je n'ai pas l'impression de les avoir vraiment vu. J'ai surtout fait du saute-vallée pour aller au plus direct tout en « passant » chacun de ces massifs. Et déçu car finalement, je préfère les Alpes du sud. C'est sûr que les nombreux glaciers c'est quelque chose, mais c'est bien plus fréquenté, je ne suis pas passé sur des crêtes reculées ou des petites vallées sauvages, les refuges sont de gros bâtiments qui brassent plein de monde, et tout est sentier. Me voila donc obligé de retourner dans ces massifs pour tenter de trouver et de parcourir leur recoins plus sauvages, sans la contrainte d'une grande traversée.

J'étais aussi étonné de ne pas voir autant de diversité dans les paysages tout au long de ma traversée. Quand je me rappelle être émerveillé et surpris par l'évolution aussi rapide des paysages quasi tous les jours sur ma HRP (à l'époque, les Pyrénées, je ne connaissais quasiment pas), là ben je n'ai pas était surpris par une végétation ou des sommets très différents entre chaque massif sur la Trans'Alpes. Les différences existent, mais elles sont bien plus subtiles.

Globalement j'ai trouvé la Trans'Alpes plus facile que ma HRP (qui comportait de nombreuses variantes), et ce malgré un dénivelé plus important (13 000 m de plus au total). Le fait est que j'ai très peu marché hors sentier, et en plus de ça, les sentiers empruntés étaient pour beaucoup roulants et bien visibles. Ce qui fait que j'ai était le premier étonné du dénivelé et de la distance que j'arrivais à parcourir chaque jour. Je me suis rendu compte de ça en retournant randonner en Ariège, où il faut monter tout droit dans les grosses touffes de gispet ou les éboulis instables et où il est plus facile d'apercevoir des isards que des cairns… Le choc a été rude.

Pour la suite, ça serait dommage de m'en arrêter au milieu de l'arc alpin. Une traversée des Alpes suisse jusqu'en Autriche pour un prochain été ? La partie suisse de la Trans'Alpes n'était pas ma préférée, mais bon, peut-être que plus vers l'est c'est plus sauvage ?

Sur l'itinéraire de la Trans'Alpes tel que décrit par Jérôme Bonneau, s'il y a bien une amélioration à faire c'est la partie Pragelato−Salbertrand−Lanslebourg, où le tracé n'a plus rien d'une rando alpine. C'est sûr que ça m'a bien arrangé de pouvoir faire tenir cette rando dans 4 semaines de congés, mais à refaire, je pense que rallonger en suivant la frontière franco-italienne et passer plus de temps dans le massifs des Cerces permettrait de rester en altitude et d'éviter au moins 2 vallées.