Tweedsmuir Provincial Park
Le programme des prochains jours est de monter à une série de lacs qui forment un circuit canotable de quelques jours. On peut y louer des canots là-haut. L'accès se fait surtout soit par hydravion soit à pied depuis une route de terre accessible en 4x4. Je ferais bien sûr tout à pied, ce qui me permet aussi au passage d'aller admirer les Hunlen Falls, parmi les plus hautes du Canada (260 m de chute ininterrompu). Je n'arrive même pas à en voir la fin de là où je suis, mais tout le canyon creusé est spectaculaire !
Une fois en haut, je m'attendais à trouver une cabane avec un gardien pour louer les canots, mais il n'y a rien, tout est sauvage et désert. Pendant un instant j'ai peur que, comme pour le kayak, mon circuit de canot tombe à l'eau. Mais je finis par voir une pancarte avec les indications pour les canots. En fait ils sont en libre-service, il suffit juste d'aller payer ensuite au lodge qui se trouve dans un village à l'extérieur du parc, c'est sympa ! Ça me permet donc de commencer à pagayer aujourd'hui en fin d'après-midi, sans avoir à attendre le lendemain, je voulais faire un peu de canot avant de me poser pour la nuit.
Le lendemain, au fur et à mesure que je passe de lac en lac, je me rapproche de plus en plus des pics et des glaciers, la vue est magnifique même s’il y a une sorte de brume de chaleur qui cache un peu le paysage. Et je serai toujours tout seul sur les lacs, tout est calme. Les portages m'épuisent beaucoup par contre. Ils ne sont pas très longs mais j'en enchaine 7 aujourd'hui, et j'avais un peu négligé cet aspect-là. Je pense avoir pris le canot le plus léger, mais portager un canot duo seul, c'est lourd !
Le deuxième jour je fais le retour et, heureusement, j'arrive à passer tous les petits rapides sans devoir reportager. Je cordèle au besoin certains passages où il manque d'eau dans la rivière et où ça accroche trop.
Je vois et entends plein de huards sur les lacs. Jusqu'à présent je ne savais pas si la sorte de hurlement qu'ils font correspondait à celui d'un rapace, d'un coyote ou d'un huard, pour en avoir entendu plusieurs fois au Québec, mais maintenant j'ai bien la confirmation que ce sont les huards qui poussent ce cri très particulier.
Ce qui est bien aussi en canot, c'est que hormis aux portages, je suis hors de portée des moustiques !
Une fois ces deux jours de canots passés, je me remet à la rando et monte voir des lacs d'altitude près d'ici. Il est censé y avoir des grizzlis dans ce coin là mais je n'en verrai pas, même pas de traces ou crottes. Je passe la nuit là-haut et redescend en parti par un autre sentier qui longe lacs et glaciers. Le sentier n'existe pas vraiment sur le terrain mais c'est pas très grave, je suis dans les alpages et les éboulis. Je trouve cette portion-là très belle.
Il fait toujours très chaud, entre 30 et 35 °C, très sec et toujours autant de moustiques, quel que soit l'altitude. Ça va faire un mois que je suis là et il n'a toujours pas plu une seule journée. Il y a entre 1000 et 2000 nouveaux feux de forêt reportés chaque année en Colombie-Britannique. Maintenant je comprends mieux pourquoi !
En repassant au camp des canots où j'avais laissé une partie de mon stock de bouffe, je rencontre un garde justement en train de repeindre la cache à nourriture. On discute un peu et je lui parle de ma prochaine rando dans le parc, mais il me déconseille fortement : les sentiers que je comptais suivre n'ont pas été entretenus depuis plusieurs années et je risque de ne pas les trouver. L'alternative est de prendre la Mackenzie Heritage Trail puis rejoindre la Raibow Range, au lieu de faire tout une boucle à partir de la Rainbow Range, donc faire une simple traversée au lieu d'une boucle finalement. Cette trail là a été nettoyée il y a peu. L'inconvénient c'est que je ne passerais pas par une série de lacs qui semblaient jolis, mais bon si c'est pour galérer dans la végétation ce n'est pas la peine. Je prends donc la décision de faire l'option qu'il m'a dit.
Au passage j'apprends qu'il y a beaucoup plus de mouches cette années car la neige a été longue à partir. Mais en août ça devrait être plus calme. Ouf c'est donc bientôt fini !
Je redescends tout en bas de la vallée, au campground le long de la route où j'avais dormi la première nuit. C'était que du chemin que j'avais déjà fait donc je ne m'attarde pas, je fais environ 45 km ce jour-là. Au passage cette aire de camping dans le fond de vallée est payante, un garde est censé passer collecter les frais mais comme à chaque fois j'arrive tard et je pars tôt, je ne le vois jamais. Je ne m'en plains pas car payer 20 $ pour un camping qui n'a ni eau courante ni douche ni électricité je trouve ça un peu cher.
Le lendemain, toujours peu de trafic sur la route malgré qu'on soit dimanche, mais j'arrive à me rendre au départ du sentier vers 11h, pas si mal ! Ben, qui m'amène là-bas, est un technicien forestier qui fait l'inventaire des arbres dans des parcelles. Il ne connaît pas vraiment le coin car il a été muté temporairement ici, mais il est originaire et travaille dans la vallée d'Okanagan. Selon lui les montagnes là-bas sont plus belles, plus hautes, plus d'opportunités de randonnées... J'avais prévu d'y passer en septembre mais j'y passerai peut-être plus tôt ou y resterai plus longtemps, car effectivement jusqu'à présent c'était beau mais pas exceptionnel non plus, si je compare aux Alpes française par exemple.
La Mackenzie Heritage Trail est un sentier historique ; originellement une route de commerce entre les différentes nations autochtones (les peuples de la côte pacifique échangeaient de la graisse d’eulachon (un petit poisson qu’ils pêchaient dans les estuaires) très riche en nutriments contre des fourrures avec les peuples de l’intérieur des terres), il a ensuite était emprunté par Alexander Mackenzie, explorateur européen, guidé par des autochtones, premier européen à avoir traversé le Canada par voie terrestre jusqu'au pacifique. Je ne serai pas aussi ambitieux et en ferai qu'une petite partie dessus avant de bifurquer sur d'autres sentiers.
Je suis pas mal motivé et en forme pour cette nouvelle rando, je grimpe tout le dénivelé pour me sortir de la vallée et atteindre le plateau. Je me régale au passage de plein de black huckleberries (baies de la famille des bleuets).
Mais rendu en haut c'est une autre histoire. Le sentier était assez beau jusqu'à présent mais est maintenant totalement envahi par la végétation, des buissons de plusieurs années ont poussés dessus, plein d'arbres tombés et très peu de marques. Ce n'est pas possible que le sentier a été déblayé, je ne peux pas croire ce que m'a dit le garde. Avec moi j'ai juste une carte topo (sans les sentiers) et un schéma des sentiers (j'appelle pas ça une carte) éditée par le parc. Impossible de savoir où le sentier est censé passer comme ça. Je fais quelques kilomètres mais c’est trop galère d'avancer là-dedans. Je me résigne finalement à faire demi-tour, vraiment déçu, et à redescendre les 1200 m que j'ai monté pour rien. Je me rappelle que George (le garde rencontré) me disait qu'au Canada on a pas la même qualité de sentier qu'en Europe, en terme de balisage, d'entretien et de diversité. Je m'en suis rendu compte depuis que je suis au Québec, mais là c'est un peu trop...
De retour donc sur cette maudite route où personne ne passe, il est tard et j'attends le lendemain pour faire du pouce. L'idée que j'ai maintenant est d'aller voir la Rainbow Range, point d'intérêt principal du parc et là où j'aurai dû arriver. Après 5h d'attente (ou plutôt 5h à écrire mon récit et me lever toutes les 20 minutes quand une voiture passe, d'où le fait que ce récit soit assez complet !), un ontarien qui ramassait des morilles comme travail d'été m'amène au trailhead de la Rainbow Range. Je m'imaginais déjà repasser une autre nuit au bord de la route.
Comme on est sorti de la vallée par la route, je suis direct sur le plateau, il n'y a quasiment plus de dénivelé à faire. Le sentier traverse des prairies alpines parsemées de pins, d'épinettes, de roches et de lacs. C'est très beau d'autant plus qu'il y a pas mal de fleurs de montagne. La Raibow Range Trail est censée me mener, comme son nom l'indique, à la Rainbow Range, une crête faite de roches volcanique et de laves, qui donne des couleurs jaunes, orange, rouge et violet en fonction de l'oxydation. En fait le sentier s'arrête juste à une place qui donne un point de vue sur la crête, et ne va pas plus loin. Dommage. Je dors ici pour la nuit.
Avec tous ces allers et retours dans la vallées, il me reste 1 jour de stock de bouffe (en fait 2 mais je compte l'éventualité où je doive encore passer une journée sur la route, surtout qu'il n'y a rien avant une centaine de kilomètres vers l'est). Je me lève tôt et décide de passer une bonne partie de la journée à explorer les environs et tenter de me rapprocher de la Rainbow Range en contournant la vallée qui m'en sépare.
En fait il s'avère que ce coin-là est un paradis pour le hors-sentier ; les pentes sont douces, peu de végétation, c'est marécageux par endroit mais pas trop, j'ai toujours une grande visibilité et le paysage qui m'entoure est toujours magnifique. Au fur et à mesure que j'avance je me rends compte qu'il n'y a pas une mais plein de Rainbow Ranges, plus belles que la première, qui se poursuivent bien plus loin ! C’est génial ! Je me retrouve finalement à marcher sur ces crêtes et à monter au sommet de la plus haute. Je suis content d'avoir poursuivi jusque-là. En fait le sentier aurait dû s'appeler Rainbow Ranges Access Trail, ceux qui s'arrêtent au bout du sentier n'ont finalement rien vu. Et dire que toute cette partie-là ce trouve juste à l'extérieur des limites du parc, je ne comprends pas. J'aurais bien passé plusieurs jours dans ce coin là si j'avais eu encore suffisamment de nourriture.
À priori c'est le territoire des grizzlis, chèvres des montagnes, caribous et orignaux, mais je ne vois rien de tout ça, juste des traces d'orignaux et d'un autre ongulé plus petit mais je ne saurais pas dire lequel. Et je vois quelques oies et canards sauvages aussi.
Sur le retour je vais voir le sentier que j'aurais dû suivre si j'avais fait la boucle prévue initialement : il est bien visible, pas de trace de passage mais ne semble pas trop envahi. Je ne sais pas qu'est ce qu'il en est plus loin par contre. De toute façon maintenant j'ai envie de partir de là, j'en ai marre de tout ce monde qui me tourne autour du matin au soir, d'autant plus que depuis plusieurs jours il y a de plus en plus de taons, les mouches noires ont éclos, d'autres mouches que je ne sais pas ce que c'est mais qui piquent aussi... Ah oui, depuis j'ai acheté de l'insecticide au DEET. Bon, en fait c'est pas magique, ça marche quand il n'y a pas trop de moustiques, mais dès qu'ils sont une centaine autour de moi, il y en a toujours qui vont piquer, même si ils mourront quelques secondes après. Donc au final je suis revenu au coupe-vent + moustiquaire de tête, et je l'utilise si je passe dans des zones où ils sont moins nombreux pour pouvoir respirer un peu.
Je me retrouve à nouveau à faire du pouce sur la route déserte, mais cette fois une prof de yoga me prend au bout de 2h à peine. Au départ je voulais arrêter à Nimpo Lake où il y a la maison des gardes du parc pour payer la location du canot et discuter avec eux des sentiers entretenus/plus entretenus (juste par curiosité car ça sert plus à rien maintenant), mais finalement au dernier moment je dis que je vais à Williams Lake (la prochaine vraie ville à 250 km de là). Je ne veux pas perdre un lift qui pourrait m'emmener plus loin que Nimpo Lake, car il n'y a rien entre ici et Williams Lake. Et j'ai bien fait car elle se rend justement jusque-là, bingo ! Je n'avais même pas imaginé une seconde pouvoir être à Williams Lake ce soir ! Pour la location, je paierai par téléphone.
Pendant que j'attendais sur la route, il a enfin plu. Un orage. La première pluie depuis que je suis ici. Il n'est pas tombé grand-chose mais ça a au moins rafraîchi l'air.